« Dans un autre conte de Noël, Dale Pearson, le sale promoteur immobilier, totalement dévoué à la haine des femmes, et apparemment grippe-sous indécrottable, pourrait recevoir la visite nocturne de plusieurs fantômes qui, en lui faisant avoir de lugubres visions des Noëls passés, présent et à venir, feraient naître en lui la générosité, la gentillesse et une sympathie partagée pour son prochain. Mais nous ne sommes pas dans cette sorte de conte de Noël. Alors, en un nombre réduit de pages, quelqu’un va faire passer l’arme à gauche au misérable salaud. Ha ! Ha ! Voilà le genre d’esprit de Noël à venir. »
A l’approche de Noël, il fallait bien qu’on vous embête avec un conte de Noël. Pour le coup, vu que c’est Christopher Moore qui s’y colle, on part plutôt confiant. Avec ses précédents romans (on retiendra Le Lézard lubrique de Melancholy Cove, Le Blues du Coyote tous deux chez Série Noire et Folio Policier), il s’est constitué un solide réseau de lecteurs prêts à jurer sur père, mère et petite sœur que Moore c’est drôle, voire très drôle et même franchement drôle. Son nouvel opus hivernal, Le Sot de l’ange, voit le jour dans la toute fraîche Interstices de Calmann-Levy dont tout le monde dit le plus grand bien. Un choix éditorial qui laisse cependant plus que perplexe à la lecture de l’ouvrage en question.
« Tes armes de dieu des Lombrics sont insignifiantes face à mon kung-fu de Noël. »
Christopher Moore situe son conte de Noël à Pine Cove, une charmante bourgade pittoresque californienne, et s’attache aux préparatifs de cette grande et belle célébration. Il s’attarde notamment sur une petite brochette de personnages passablement barrés dont Theophile Crowe un flic incompétent sous herbe, Molly Michon sa femme – ancienne actrice des nanars de la série « Kendra l’amazone des terres inconnues » – et Tucker Case un pilote d’avion en vadrouille, dominé par ses pulsions sexuelles et secondé par Roberta la chauve-souris parlante (enfin là muette par suite d’un traumatisme lointain). Précisons au passage que, d’après nos informateurs, ce sont là des personnages, parfois secondaires, d’autres de ses romans.
Tout allait pour le mieux dans le meilleur des Noëls (ouais je suis pas fier mais bon) quand : 1) le vilain promoteur déguisé en Père Noël se fait décapsuler à coup de pelle par son ex-femme, 2) un petit gosse assistant à la scène croit voir là l’assassinat du vrai père Noël, 3) l’ange Gabriel, passant par là à la recherche d’un miracle à accomplir, exauce le vœu du petit gosse et tente une résurrection sur le Père Noël… sauf que ressusciter les gens ça ne donne pas toujours le résultat escompté.
Le résumé ci-dessus reprend les 200 premières pages du Sot de l’ange. Sur 250. Les 50 dernières sont consacrées au « miracle » provoqué par l’ange (dont je laisse la surprise à ceux qui n’ont pas lu la critique de notre confrère préféré). Sur ces 200 premières pages, on se gratte, on baille, on se dit qu’il serait peut-être temps d’acheter les cadeaux de Noël quand même, on ramasse le livre qui vient subrepticement de glisser au sol et on se demande pourquoi on l'a pris pour le chroniquer (à part pour affirmer son droit d’aînesse aux petits nouveaux).
Pourquoi ce sentiment profond d’ennui ? Deux possibilités :
1) Je n’ai pas d’humour. Fin de la chronique.
2) (et je mets un petit 2 uniquement parce que sinon on va encore me traiter de laxiste et de punk avec mes chroniques 500 signes) Moore n’est pas drôle.
« Souriez, car vous auriez pu vous retrouver avec un sapin enfoncé dans le cul. »
Partons sur l’hypothèse du petit 2. Mettons de côté qu’il ne se passe globalement rien et que Moore meuble en jouant avec ses personnages, peut-être attachants pour ses fidèles lecteurs mais sans intérêt pour le lecteur moyen (vous et moi) (enfin vous surtout). Passons aussi sur la médiocrité stylistique, l’écriture très plate, les ruptures de registre étranges (on notera notamment des tournures assez vieillottes pour tout ce qui est sexuel. Un problème de traduction ?). Mais il est difficile de passer sur l’humour potache et poussif du roman. Assez basique, téléphoné, très appuyé et redondant – c’est à peine s’il n’y a pas des notes en bas de pages pour dire où il faut rire (cf. le passage en introduction de cette chronique où l’auteur explique ce qu’il y a de drôle et de quand même vachement bien pensé dans son roman) –, Le sot de l’ange n’est tout bonnement pas drôle. Les dialogues tombent à plat, les situations sont convenues, les personnages très archétypaux (sans jamais qu’ils aillent au-delà de leurs archétypes) (ouais il y a beaucoup de parenthèses mais c’est Noël et ça fait joli des parenthèses). On ne rit pas, on sourit peu et franchement on s’emmerde pas mal.
Page 200, ça bouge. Cool. Il se passe quelque chose finalement. Page 205, ça ne bouge plus. Le miracle n’opère pas et l’histoire reste pas drôle malgré la sottise de l’ange. Donc, rien, non rien vraiment, même pas un éclat de rire, ni un sourire charitable, on traverse les dernières pages comme le dernier chant à la messe de Noël, le visage placide, avec cette pulsion sourde de leur dire à tous de fermer leur putain de gueule.
On peut se demander légitiment pourquoi un tel ouvrage pas drôle, creux, sans subtilité et au final totalement vain, figure au catalogue d’Interstices. Pour les quelques ingrédients d’imaginaire (l’ange, la résurrection…) ? C’est maigre pour un roman très terre-à-terre, qui s’apparente de loin et de nuit à du sous-Pratchett de la côte Ouest, et qu’on pourrait résumer en disant que c'est un truc pas drôle écrit par un mec qui se croit drôle (un peu comme ces gens qui ne peuvent pas s’empêcher de raconter des vannes éculées – je suis sûr que vous en connaissez). Je ne vois vraiment pas dans quel interstice le roman de Moore peut bien aller se fourrer pour justifier sa présence ici-bas. Mais, comme l’a dit un grand sage, les voies du Père Noël sont impénétrables.
Voilà. Le sot de l’ange c’est nul. Désolé.