Paladin des âmes

Paladin des âmes

Lois Mcaster Bujold est à l’origine plus habituée aux vaisseaux spatiaux qu’aux ambiances médiévales de la Fantasy : on pense notamment à sa saga de Miles Vorkosigan, et à ses nombreuses distinctions dans le genre SF : prix Nebula en 1988 (Opération Cay), trois prix Hugo…
Oui, mais madame s’est mise à la Fantasy, et elle s’y prend bien. Après Le Fléau de Chalion (Mythopoeic Award), on est maintenant heureux de découvrir Paladin des âmes, roman de pure Fantasy placé à sa suite dans l’histoire (sans faire réellement partie d’une saga), et qui a déjà remporté le Nébula 2004, ainsi qu’un quatrième prix Hugo pour l’auteur !

La malédiction est morte, vive la malédiction !

Un après-midi de printemps en la résidence de Valenda. La royina douairière vient de mourir, et sa fille Ista, mère de l’actuelle royina, voit repartir les personnalités venues lui rendre hommage. Mais sa situation ne change pas pour autant : réputée folle depuis plusieurs années, après qu’elle a subi la malédiction de la lignée de rois de Chalion et rencontré la déesse Mère-Eté, elle reste cloîtrée, dans l’atmosphère étouffante de Valenda, à la merci de suivantes acariâtres et de protecteurs trop zélés.L’idée

d’un pèlerinage germe alors dans son esprit, comme un exutoire au mal-être permanent de la cour de Valenda. Accompagnée de la double bénédiction de sa fille et du chancelier Karazil, et d’une escorte réduite et choisie, Ista échappe enfin à sa prison dorée.Mais

le pèlerinage ne tarde pas à prendre une tournure inquiétante, dangereuse. Des intrigues du passé ne sont pas dénouées et la Royina doit à nouveau faire face aux dieux et à leurs stratagèmes, qui la mèneront au cœur d’une histoire faisant revivre les pires moments de la malédiction : sorcellerie, embuscades, guerre, mort, charmes, passions. L’héroïne qui retrouve ses dons de double vue doit avant tout assumer son passé pour résoudre les énigmes du présent…

Un monde bien structuré et sans clichés

Le monde de Chalion lui-même est dans l’ensemble très bien pensé et décrit. La structure politique n’est pas au centre de l’intrigue, et donc moins développée que d’autres aspects, et c’est vrai qu’on regrettera parfois de ne pas toujours bien comprendre en détail les rapports entre provincara, principautés… etc. Mais l’ensemble reste convaincant et suffisamment développé pour les besoins du livre.Le

point fort du concept « Chalion », ce serait plutôt les rapports entre les dieux et les hommes. La religion est construite de façon assez originale, et je serais tenté de dire « naturelle ». Quatre dieux reprenant à la fois le schéma familial classique (père, mère, fils et fille), le cycle des saisons, et des caractéristiques fréquemment attribuées aux personnages représentés, utilement secondés par un dieu des exclus (le fils bâtard). La présentation des esprits et de leur développement est aussi assez heureuse.Côté

intrigue, les thématiques font preuve de maturité par rapport à un certain nombre de romans de Fantasy, tout en ne se prenant pas trop au sérieux : l’héroïne n’est pas une blanche, innocente et parfaite jeune fille, elle a fait des erreurs, commis des crimes. Désillusionnée, mais pas sans espérance (et, soit dit en passant, elle est d’âge mûr, ce qui rend l’ensemble plus intéressant). Les personnages principaux sont ainsi tous traités avec un recul bienvenu.
L’intrigue en soi n’offre en revanche pas de réelle originalité, mais la focalisation du roman sur l’héroïne (et non sur un danger absolu dont dépendrait la vie du monde entier) évite de tomber dans les clichés habituels.
Elle n’en est pas moins bien ficelée et attrayante, avec tous les ingrédients nécessaires. J’avoue de plus avoir un faible pour la psychologie d’Ista et son rapport aux dieux…

Récit fluide, agréable, bien construit… à lire !

Bref un roman très bien construit, qui a un peu de mal à démarrer, mais qui se reprend vite et gère très bien le mystère entourant la malédiction de Chalion. Les rebondissements sont bien menés et nombreux, les personnages bien traités et raisonnablement fouillés, le tout servi par un style toujours fluide et très abordable, bref très agréable à lire.

À noter également qu’il n’est pas nécessaire d’avoir lu Le Fléau de Chalion pour apprécier Paladin des âmes : ça n’enlève rien à l’intérêt du livre, et introduit même un voile de mystère quant au lourd passé de la royina, qui sera savamment relevé en cours de route.