Greg Egan est en quelque sorte le chouchou actuel des lecteurs de " hard-science ". Informaticien de formation, chacun de ses livres aborde une question fondamentale de la science moderne : théorie de tout en physique dans L'Enigme de l'univers, limites entre réalité physique et réalité virtuelle dans La Cité des permutants, etc…
Egan aborde ici la question de l'évolution biologique. En bon australien, il ne manque pas de lancer quelques piques wallaciennes* à l'égard du paradigme darwinien en vogue aujourd'hui, mais le sujet de ce livre n'est pas là. Il intronise ici le mélange militantisme/sentimentalisme… Tout un programme !
L'île des papillons
Téranésie. C'est dans cette île perdue du Pacifique que travaillaient les parents de Prabir. Ils y vivaient en autarcie avec sa sœur Madhusree et lui. Les deux biologistes y étudiaient d'étranges papillons à nuls autres pareils, endémiques de ce minuscule îlot volcanique non répertorié sur les cartes. Ces insectes avaient un génome aberrant, et leur analyse aurait promis une belle notoriété aux parents de Prabir si l'instabilité politique de l'archipel indonésien ne l'avait empêché. Malheureusement, Prabir les avait vu disparaître, lorsqu'ils avaient marché sur une mine, lâchée aveuglément depuis un avion rebelle.
Difficile à neuf ans de prendre sa vie en main, surtout quand on a une sœur à peine sortie des couches. C'est à Toronto que Prabir et Madhusree sont élevés, chez une tante aussi obtuse que bardée de diplômes. Les années passent, et Prabir continue d'assurer l'éducation de sa sœur qu'il tient aussi éloignée que possible de l'histoire de leurs parents. C'est sans compter sur la volonté de Madhusree. Suivant des études de biologie, elle est invitée à une mission dans l'archipel où elle entama sa vie. Pourquoi là-bas ? Parce que depuis peu, de nouvelles formes de vie y surgissent de nulle part : cacatoès porteurs de dents, fourmis insatiables, et même d'étranges papillons.
Angoissé, Prabir tente de la rejoindre dans cette mission. Il semble que leur île secrète de Téranésie soit la source de cette entropie, le siège de l'activation d'une protéine mutatrice envahissant le génome de tous les organismes à sa portée…
Et la CIA créa le savoir transgressif
Greg Egan est un auteur militant. Comme toujours, il s'érige dans ce livre contre toutes les cécités de l'esprit et tous les extrémismes. Fanatisme religieux, nationalisme exacerbé, féminisme outrancier, toutes ces cibles, Egan les épingle, et cette fois, il n'épargne pas un certain scientisme universitaire, celui qui déforme les chercheurs au point de faire paraître leur savoir comme rhétorique et de les rendre aussi politiquement inopérants que des nains de jardin. Dans ce registre, l'enfance de Prabir chez sa tante est un régal.
" A quoi servent les épines ? "
Mais Egan manie ici de façon plus imparfaite l'ambiguïté. Le leitmotiv de ce bouquin est que " La vie n'a aucun sens ", biologiquement parlant en tout cas : l'évolution des organismes n'est pas orientée, car elle représente en elle-même l'intégration de conflits d'intérêts de différents niveaux, et non pas la volonté d'une quelconque force totipotente.
Pourtant, Egan cède parfois avec une légèreté déconcertante à une vision pan-adaptationniste dans laquelle au contraire TOUT a un sens. J'ai eu peur qu'il nous explique l'homosexualité de Prabir comme une adaptation visant à améliorer la pérennisation du patrimoine génétique de sa sœur…
Dans ce monde où tout est au mieux, la protéine mutagène apparaît comme un sacré facteur de bordel ambiant ! Elle ressuscite le droit à l'imperfection et à la contingence, ouf ! Une plante peut enfin arborer des épines sans que celles-ci ne lui soient d'aucune utilité si aucun herbivore n'est là pour la brouter. Attention monsieur Egan : répandre de telles idées n'est pas seulement erroné, c'est également dangereux...