Le peuple des endormis - 2
Journaliste, rédacteur en chef, dessinateur, Didier Vasseur alias Tronchet débute la BD en 1984 avec son premier personnage : Raymond Calbuth. Auteur pour Pilote, puis Fluide Glacial et L’Écho des Savanes, il compte désormais près de trente albums à son actif. Dessinateur et scénariste attaché à des profils d’anti-héros taillés à l’humour noir et au désespoir naïf, il entame avec Le Peuple des Endormis sa collaboration avec Frédéric Richaud.
Né à Aubignan, Frédéric Richaud est professeur dans un collège de la banlieue parisienne. Coauteur de la trilogie en bande dessinée du Maître de peinture avec Michel Faure et Pierre Makyo, il a publié de nombreuses biographies ainsi que trois romans : Monsieur le jardinier, La Passe au Diable et La ménagerie de Versailles parus chez Grasset.
Le Marquis dérisoire
L’histoire du Marquis de Dunan, le fondateur imaginaire de la « ménagerie de Versailles » sert de point d’ancrage à cette nouvelle démonstration du dérisoire. Expédition rocambolesque et haute en couleur dans une Afrique très noire, le Marquis poudré pétri des bonnes manières et des coutumes d’une cour qu’il croit éternelle et sublime s’en va patauger dans la boue pour plaire à son roi. Le lecteur devine que ce « roi » n’est qu’un artifice dont l’attachant Marquis use pour se peindre lui-même en personnage important. Flanqué d’un serviteur africain à la sagacité et au dévouement inusable et d’un apprenti taxidermiste figé dans le rôle du témoin conteur, il part à la conquête d’espèces inconnues au sujet desquelles il entend bien voir se pâmer la cour à son retour.
Une gifle douce-amère
Au fond, tous les protagonistes de cette aventure partagent un point commun, presque clownesque tant il est renforcé : le sentiment enflé de leur propre importance. Seul le personnage, un peu en retrait, de l’apprenti, vient trancher dans le vif de cette ronde des vanités dont on sent bien, dès les premières lignes, le ridicule et l’absurde. Il y a du Camus qui aurait été remâché par Cioran chez Tronchet et Richaud dans ce triste cumul de psychologies incapables de s’adapter à la réalité privée de sens qui les entoure. Les rois nègres tout autant que les potentats coloniaux sont dépeints dans toutes leurs mimiques affectées, servies par un dessin plus rugueux que jamais chez Tronchet. Il est admirablement souligné par une colorisation qui donne une l’impression de « chaleur africaine » éclatant au visage du lecteur. Ce tome, plus sans doute que le premier, culmine en gifle douce-amère, arrachant un sourire un peu peiné mais d’autant plus facile que les personnages sont outrés.
Un western-spaghetti dans l’Afrique du XVIIe Siècle
Les effets sont parfois un peu évidents, ou sans doute trop ramassés dans les cases taillées à la serpe de ce western-spaghetti à la mode coloniale qui contient trop, en trop peu d’espace. La lecture achevée, l’impression demeure qu’un tome manque, dans les interstices de l’histoire sans doute, ou dans ses raccourcis. C’est peut-être pour cette raison que Richaud a prolongé l’histoire par son dernier roman, La Ménagerie de Versailles dont la lecture, une fois la saga terminée, semble un prolongement indispensable.