Démons et Sorciers, Les Créatures du Diable
Levez la main, ceux de l’assistance qui croient au diable. De nos jours, la croyance au diable a quasiment disparu dans nos régions. Même les croyants chrétiens, même l’Eglise catholique ou les pasteurs protestants, n’en parlent généralement qu’avec une distance rassurante, quand ils l’évoquent. Il est donc difficile, à notre époque, de considérer sérieusement l’idée qu’un être surnaturel passe son temps à essayer d’acheter des âmes comme une ménagère faisant son marché, de tromper les humains et de nous jouer des tours.
Et pourtant, il y a très peu de temps, le diable était une présence bien réelle dans la vie de tous les jours de très nombreuses personnes. Quand quelque chose n’allait pas, quand quelqu’un n’allait pas bien, ce n’était pas juste une maladie ou un coup de froid, non, c’était l’influence du diable, qui vous en voulait personnellement et qui avait toutes les ressources de l’Enfer à sa disposition pour rendre votre vie atroce. Et paradoxalement, plus les histoires de diable étaient sérieuses, plus elles étaient quotidiennes, plus elles s’inscrivaient dans une vie normale, et moins elles étaient surnaturelles.
Plongée dans le temps
C’est l’impression qu’a cherché à reproduire Marie-Charlotte Delmas, conservateur en chef de bibliothèque et Docteur en science du langage, qui a déjà compilé de la sorte un recueil sur les fées et un sur les fantômes, en rassemblant cette fois de vieux contes sur le diable, les démons et les sorciers. Il s’agit, plus spécifiquement, d’histoires récoltées par les premiers folkloristes français, c’est-à-dire des premiers savants qui ont compilé des histoires non pour leur valeur morale ou littéraire, mais comme objet d’étude ethnographique. Et on assiste ici à une rupture fondamentale, parce que pour ces récolteurs principalement de la fin du XIXème siècle, les histoires ont une valeur en soi, tandis que pour ceux qui les leur ont racontées, les histoires ne sont que la reproduction fidèle d’évènements qu’ils savent être vrais. Quand un pêcheur breton raconte que son grand-oncle a fait une pêche miraculeuse avec l’aide du diable, il le raconte comme il raconterait la fois où il a perdu une rame. C’est tout aussi vrai, tout aussi anodin et tout aussi simple.
Et du coup (et c’est par là que, peut-être, pèche l’ouvrage), il n’y a pas lieu d’embellir la chose, d’y rajouter une morale, ou des symétries agréables, ou des motifs primordiaux, bref, il n’y a pas besoin de transformer une anecdote en véritable histoire. Et c’est ainsi que la grande majorité des « contes » rassemblés dans Démons et sorciers sont des anecdotes simples, sèches et sans beaucoup de viande sur les os. C’est d’autant plus embêtant que par souci d’exhaustivité et d’authenticité, Delmas a fréquemment rassemblé plusieurs versions du même conte à la suite, chacun réduit à un exposé brut.
Mais de temps en temps, il y a bien sûr une histoire qui sort du lot, pour son atmosphère, pour son humour ou pour l’effort que le conteur originel y a mis. Et là, l’authenticité, qui rend les autres histoires austères, donne à celles-ci un cachet d’originalité, de vérité, qui est inestimable. Il faut donc prendre son temps avec Démons et sorciers, tamiser et y pêcher les quelques perles qui s’y trouvent. Mais au moins, on sera sûr qu’il s’agit de perles véritables. Si vous cherchez un ouvrage de référence compilant un très grand nombre de contes sur le sujet, ce recueil devrait tout à fait combler vos attentes.