Historienne et archéologue de formation, Rachel Tanner s’est, en l’espace de trois romans (et quatre éditeurs), taillé un nom dans la fantasy historique française. Passionnée des fins de règnes troubles (chute de l’Empire Romain, disparition des Néandertaliens), elle s’est livrée, dans son premier roman, réédité en collection de poche, à un travail de Romain : décrire une antiquité tardive dominée par une autre religion que le christianisme et pimenter ce décor singulier d’un souffle héroïque et magique.
« Si le christianisme eût été arrêté dans sa croissance par quelque maladie mortelle, le monde eût été mithriaste » : c’est fait. Rachel Tanner a donné corps à la prophétie d’Ernest Renan et a mithriatisé et ensorcelé l’Europe prémédiévale dans ce roman, premier volet du Cycle de Mithra en deux volumes.
Une uchronie fantastique
Au XVIème siècle après la fondation de Rome (VIIIème siècle après la naissance du fondateur d’une secte juive hérétique, Jésus Christ), le culte de Mithra s’est propagé dans tout l’Empire Romain. Dans un sursaut hégémonique, Rome veut étendre la religion du taureau salvateur à ses frontières en Helvétie, en Germanie et en Armorique. Elle envoie ses prêtres avant d’envoyer ses troupes et de mener la guerre sainte. Mais c’est sans compter avec les dieux anciens et les pouvoirs joints des magiciens qui ont eu raison de la secte chrétienne.
Devant la menace grandissante de l’Empire et après les mésaventures de Charlemagne porte-faix des religions anciennes, la jeune Judith de Braffort, fille du plus puissant duc d'Armorique qui s’oppose au monothéisme impérial, est appelée à s’initier auprès de la sorcière Ygrene en Helvétie pour combattre les ennemis de sa famille et les adeptes de la religion taurobolique.
Contexte original, facture classique
Parcours initiatique d’une magicienne, combats de sorciers, batailles épiques, Rachel Tanner a choisi, pour son premier roman, de ne pas dérouter les amateurs de fantasy. Nous restons sur des références sûres à la légende d’Arthur : anciennes croyances et nouvelle religion, disparition des anciens dieux au fur et à mesure qu’ils perdent des adeptes, agissement des mages au profit des dieux, l’arc d’Ogmios en guise d’Excalibur, les chevaliers de la table ronde recrutés parmi les chefs barbares, dont Charlemagne (Charles le grand). Côté magie, pas de sorts originaux, mais une bonne palette de pouvoirs efficaces, répartis entre plusieurs sorciers de haut rang.
Plus original est le parti pris uchronique, et donc historique, qui met en scène le culte méconnu de Mithra. Rachel Tanner utilise au mieux les connaissances éparses dont les historiens disposent sur la religion en vogue dans le Haut Empire et ses solides connaissances sur une période troublée de l’Europe pour peindre une fresque historique crédible et attrayante.
Quelques flash back, un découpage chronologique des chapitres, allers et retours sporadiques sur plusieurs périodes de l’Empire romain qui flirtent avec une certaine érudition, la composition de ce premier roman est maîtrisée. Le tout ne manque pas de souffle. La tension est constante, l’attention du lecteur est maintenue au fil de la narration. Les scènes de bataille, sanglantes, sont davantage perçues à travers des personnages que de façon panoramique.
Le style est efficace. Pas de fioritures. Peu d’humour. Approche plutôt anglo-saxonne dans l’importance donnée au déroulement de l’action et au comportement des héros. Rachel Tanner mène une bonne analyse psychologique de ses personnages et démontre une grande aptitude à traiter de points de vue différents et à relier les microcosmes humains à la trame historique globale.
Bref, pas le chef-d’œuvre qu’on pouvait attendre au seul énoncé du contexte (uchronie mithriaste), mais un très bon roman historique et un bon roman de fantasy.