Passage

Passage

Alors qu'on l'imaginerait plus volontiers à faire du crochet et à relier des livres de messe avec des liseuses en courtepointe, Connie Willis reste une des plumes les plus caustiques du moment. Ses dehors de quinquagénaire tranquille du Middlewest cachent une chroniqueuse féroce des travers de ses semblables. Et pour donner un successeur à son Sans parler du chien, qui avait décroché et le Hugo, et le Locus en 1999, elle n'a pas lésiné sur la quantité : 860 pages, en demi format s'il vous plaît. Vous l'aurez compris, c'est, bien évidemment, pour ne pas vous affoler que Millénaires l'a coupé en deux. Des égards qui ont un prix : 17€ par volume.

A rebrousse poil

Cette fois encore Connie Willis nous prend à rebrousse poil, et choisit de s'intéresser aux Expériences de Mort Imminente. C'est le sujet de recherche du Dr Joanna Lander. Depuis plusieurs années elle arpente les couloirs du labyrinthique Mercy General Hospital de Denver pour recueillir les témoignages des patients qui sont revenus à la vie après une mort clinique. Sa rigueur scientifique tranche singulièrement avec les méthodes de Maurice Mandrake, un charlatan dont la présence au Mercy ne s'explique que grâce aux faveurs de la plus grosse actionnaire de l'hôpital. Mandrake, qui préfère parler "d'Expérience d'Au-Delà Imminent", a fait son beurre sur un mysticisme de seconde main bien connu, avec dedans de vrais morceaux de Lumière Blanche, de "chers disparus" au bout du tunnel, et de Grande Révélation.

Le mépris qu'inspire ce salmigondis New Age à Joanna va la rapprocher du Dr Richard Wright, un neurologue fraîchement débarqué qui se propose de simuler des E.M.I, puis de les étudier par tomographies. Si tous deux pensent que les visions de leurs "EMIstes" recèlent bel et bien un message, ils sont convaincus que l'explication ne peut en être que biologique. Et qu'elle que soit la nature de cette énigme, ils sont déterminés à la résoudre.

Un peu long

Bien loin de la conception Super Mario Bros de l'Au-Delà de Werber et de ses Thanatonautes ; à des années lumières des mystico-niaiseries post-hippies, qu'elle n'hésite d'ailleurs pas à ridiculiser, Connie Willis prend un contre-pied original, celui de la rigueur scientifique la plus absolue. Evitant l'écueil de la hard science, elle choisit de construire son intrigue tout entière sur les associations d'idées qui vont permettre aux deux scientifiques de remonter aux sources des E.M.I. C'est une tentative originale mais hélas fastidieuse de tisser la trame de son récit. Alors que sous le prisme de l'intelligence pétillante de Connie Willis ce thème qui nous a surtout donné le pire jusqu'à présent, reprend de l'épaisseur, force est de constater qu'au fil des pages notre intérêt va pourtant fléchissant. Bien qu'elle use de son invraisemblable aisance dans les dialogues pour rendre son propos moins aride, et malgré son génie pour croquer en deux phrases des personnages à la fois crédibles et attachants, on se surprend d'un seul coup à lire en diagonale les longues réflexions que l'auteur prête au Dr Lander. On s'en veut bien un peu, mais c'est trop tard, le pli est pris. Vaincu on survole de plus en plus vite cette tentative de thriller pourtant honorable, quitte à passer à côté de l'histoire. Resserré en un seul volume, nous aurions eu droit à un authentique petit bijou, mais avec ces 400 pages de trop, voilà un Passage qui vous semblera bien long.