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Une femme sans histoires

Christopher Priest ( Auteur), Hélène Collon (Traducteur), Corbis (Illustrateur de couverture)
Aux éditions :   -  Collection : 
Date de parution : 30/04/07  -  Livre
ISBN : 2070344932
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Christian   - le 31/10/2017

Une femme sans histoires

Christopher Priest publie Une femme sans histoires (The Quiet Woman) en 1990, bien après son premier cycle d’œuvres psychédéliques (Le Monde inverti, Futurs intérieurs) et schizophrènes (La Fontaine pétrifiante, Le Don), et bien avant son cycle transfictionnel et fusionnel (Le Prestige, La Séparation), où  l’écriture et le parallélisme littéraire sont au service de la confusion des personnages et des réalités. Certains diront qu’il s’agit d’une œuvre de transition. D’autres d’une œuvre de transgression (sortir de la SF). D’autres enfin, les puristes, d’une œuvre de régression. Christopher Priest y cultive de bonnes idées et s’essaye à une forme nouvelle sans réussir à fixer un genre et surtout à trouver sa marque.

Du sous-Priest si l’on en juge par ses œuvres antérieures. Du Priest embryonnaire en se fiant à ses œuvres postérieures. Les inconditionnels de Priest posent leurs conditions. Les autres n’accrochent pas trop. Tous y retrouvent des échos extérieurs (Lynch, King, Orwell), dans une confusion inaboutie des genres : polar, littérature générale, horreur, fantastique, SF.

Le voisinage tourmenté de la femme sans histoires

A la suite d’une catastrophe nucléaire sans histoires à La Hague, le village d’Alice Stockton, auteure du sud de l’Angleterre,  a été contaminé. Catastrophes plus significatives, son livre « Six femmes combatives », en apparence anodin, est censuré par le Ministère de l’Intérieur et sa voisine, Eleanor, qu’elle interviewait régulièrement pour son livre suivant, a été retrouvée assassinée.

 En dépit de ses soucis de santé liés aux radiations, Alice Stockton s’efforce, avec son agent littéraire,  d’être payée pour son livre, de mieux cerner l’univers d’Eleanor, mais elle doit, pour cela, composer avec Gordon Sinclair, le fils prodigue, un homme au comportement inhabituel.

Parallélisme intérieur

De bonnes idées : la gestion au quotidien de l’après-cataclysme nucléaire français, la censure sévère d’un livre inoffensif comme prétexte à basculement dans un univers parallèle, mais Christopher Priest est amateur de fausses pistes. Autres trappes : la rencontre sporadique avec des formes extra-terrestres sur la route est-elle réelle ou perçue ?  Laquelle des femmes, d’Alice ou d’Eleanor, est sans histoires ?

Tout l’agencement et la force du livre, traité en visions parallèles de 3 personnages (deux femmes sans histoires et un fils plein d’histoires), est conçu sur le  modèle du roman apparemment fantastique, mais dont les apparences d’irréalité sont liées aux aberrations mentales d’un des personnages. Sans qu’on sache finalement si c’est lui qui donne réalité aux univers parallèles ou s’il les subit de par sa maladie.

Le problème, c’est que cette ambition narrative aurait pu être obtenue de façon plus efficace par d’autres moyens (allusions plus claires au propos, davantage de liens entre les chapitres, suggestions plus subtiles ou plus directes). Tel que le roman est écrit, les lecteurs restent sur leur fin avec un sentiment de récit inachevé ou morcelé. 

Par exemple, le chapitre 3,  récit d’une hallucination apparente (des cylindres extra-terrestres volants), n’est évoqué qu’une fois par la suite. Cette fausse piste est abandonnée bien vite, à l’instar de la piste nucléaire, et si l’on voulait que le lecteur croie que ce roman est réellement un roman de SF, il eût fallu entretenir l’ambigüité. Le reste est à mettre sur le compte du quotidien et du pathologique. A moins de confondre troubles mentaux et réalité multidimensionnelle, ce qui nous conduirait au fantastique. Parallélisme objectif contre parallélisme subjectif. Mais rien ne corrobore la thèse de la multi-dimensionnalité (là aussi, l’ambigüité aurait pu être davantage travaillée).

Difficilement classable (plus encore que d’autres livres de Priest), le roman penche finalement dangereusement pour le genre polar morbide (type séries serial killers). Et ce d’autant plus que Priest a cherché à cultiver le quotidien en s’appesantissant sur des détails ordinaires hyperréalistes, non sans qualité littéraire (la poésie de la poêle à frire) : « Ses sacs en plastique lourdement chargés heurtèrent le montant de la porte comme elle se poussait à l’intérieur et une fragile poignée en plastique se déchira, provoquant la chute de la laitue posée sur le dessus. »

Le moins bon des romans de Priest. L’auteur est bien meilleur quand la réalité dérape pour tous et que le pathologique frise la norme. Bref, quand il écrit de la SF ou du vrai fantastique.

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