Hadès Palace
Sixième opus du cycle « Le rêve du démiurge » Berthelot décrit les tourments de l’artiste en proie aux forces d’un mal bien connu : le fascisme. Ingénieux.
Le polytechnicien et narratologue Francis Berthelot, âgé de 61 ans, a débuté sa carrière d’écrivain avec La lune noire d’Orion en 1980. Aux essais littéraires s’ajoutent deux romans : La ville au fond de l’œil, qui a remporté le prix Rosny Aîné en 1987, et le Rivage des intouchables, ouvrage remarqué pour son traitement des "années sida", récompensé par le Grand prix de la science-fiction française en 1991. Les cinq autres tomes du cycle sont L’ombre d’un soldat (1994) Le jongleur interrompu, (1996), Mélusath (1999), Le jeu du Cormoran (2001), et Nuit de colère (2003).
Hadès, ou les 120 jours de Sodome Ça commence comme dans un film de Cassavetes. Maxime Algeiba est mime au piano strass, un cabaret canaille tenu par un vieux loup tout droit sorti du
Meurtre d’un bookmaker chinois. Puis l’on change radicalement d’univers. Un agent de passage lui offre une place dans l’un des lieux de spectacle les plus prestigieux d’Europe, répondant au doux nom d’Hadès Palace… Maxime quitte alors sa glamour guinguette pour un long voyage au bout de l’enfer.
Accueilli comme un prince au château, le luxe outrancier et le style gréco-romain du lieu ne parviennent pas à masquer le parfum d’ineffable planant dans l’air suranné de la demeure, où se croisent des femmes à la beauté insensée. L’atmosphère glacée de perfection et l’élégance néo-classique rappelant l’hôtel fantomatique de
L’Année dernière à Marienbad créent une lancinante angoisse, que la présence d’une mystérieuse milice sillonnant nuit et jour le parc et les couloirs sentant bon la lavande séchée ne fait qu’augmenter…
Pacte avec le diable
Bien vite, le héros est dopé et soumis au credo de la maison :
« le beau, le vrai, l’extrême ». Comme au temps des romains, le public sadique de l’Hadès Palace ovationne les spectacles nourris de sang et de violence. Ainsi l’on souffre, tue, et meurt sur scène pour de vrai…. Lois
esthétiques immuables contre lesquelles toute rébellion est proscrite sous peine de douloureuses punitions, elles régissent la carrière des employés. Aussi, c’est au fil de ses diverses pérégrinations et châtiments que Maxime découvre les vices du système velouté et autoritaire où on l’enferme.
Comme dans la grande maison bourgeoise de Salo chez Pasolini, le héros chute d’un cercle à l’autre, de celui des fêtes à celui des ombres, qui sont trois variations fidèles du système fasciste : apparence lisse et bourgeoise, censure, mauvais traitement, torture, emprisonnement arbitraire… Berthelot plaque finement le système autoritaire au monde du spectacle, et montre l’aliénation à l’œuvre dans la cervelle de Maxime. Autrefois mime canaille avec les pieds bien sur terre, l’artiste désemparé en viendra à flirter avec l’un de ses geôliers, démontrant par là même toute la pernicieuse ambiguïté sévissant dans les structures dictatoriales. Peu à peu endoctriné, Maxime perd une partie de son âme, et sa chair est mise dans tous ses états. Tour à tour pétrifié, écartelé, aimé, puis désincarné jusqu’à devenir une ombre, son corps subit toutes les transformations, véritable métaphore de l’instrumentalisation au service du public d’Hadès.
Une critique âpre du monde du spectacle, mais servie par une écriture inégale.
En filigrane émerge bien sûr un discours sur la condition de l’artiste, en proie à l’Histoire et aux puissants. Il y a ceux qui résistent, ceux qui se fourvoient en temps de tyrannie, et par extension la tentation omniprésente de vendre son âme aux lois du marché et aux magnats du showbiz, dont le manque d’ouverture et de prise de risque est ici dénoncée sur le mode du monstrueux.
La volonté lyrique est très forte chez Berthelot, qui fut membre du groupe Limite, collectif né dans les années 80 souhaitant réconcilier aspirations littéraires et science fiction. Tantôt inspirée, comme lors de la vision démoniaque de la nativité et l’évocation du cercle des ombres, île noire aux confins de l’abstraction où les âmes végètent avec leurs auras et leurs visions, tantôt volontairement plus lourde et alambiquée, l' écriture de Berthelot, spécialiste des formes, n'atteint pas toujours les cimes de l'esthétique...
Cependant, malgré un style qui a ses aficionados et ses détracteurs, cette œuvre mérite un détour pour le soin apporté à la structure et au scénario, ainsi que pour son caractère assez original.