Christian
- le 20/09/2018
Les Diables au long nez
Quand les rônins Zenta et Matsuzo gardent les moutons d’une religion lointaine, venus prêcher la bonne parole au Japon... Si les moines bouddhistes les considèrent comme des diables, c’est seulement parce qu’ils sont affreux avec leurs longs nez portugais !
Les Diables au long nez est le tome 3 de la série aux Editions du Rocher. Publié aux Etats-Unis en 1976, il était, en vérité, le premier roman du cycle. Mais Lensey Namioka s’attarde si peu au début du roman sur la description et le passé des deux héros, qui semblent avoir déjà vécu de nombreuses aventures, qu’il n’est pas illogique de le publier après Le Château du serpent blanc et La Vallée des cerisiers brisés.
Une nouvelle enquête dédiée à la découverte policière et ludique du Japon du XVIe siècle par l’auteure américaine passionnée du Soleil Levant, qu’elle évoque fréquemment dans ses nouvelles et ses livres pour enfants.
Des diables en enfer
Crasseux et faméliques, les rônins Zenta et Matsuzo se rendent à Miyako (ex-Kyoto), capitale du Japon au XVIe siècle, à la recherche d’un maître. Au cours d’une rixe avec les moines guerriers du mont Hiei, Zenta rencontre providentiellement un de ses anciens compagnons, le samouraï Hambei, qui leur trouve un nouveau travail : protéger la mission portugaise des moines et du clan Fujikawa. Le tout au nom de Nobunaga, le plus grand seigneur nippon du XVIe siècle.
C’est l’occasion pour eux de découvrir, avec le père Luis et son garde-interprète Pedro, deux diables portugais bien sympathiques, les mystères de l’Occident lointain. Mais les longs nez (des menteurs pour les bouddhistes) ont de nombreux ennemis et leurs jours seraient comptés sans leur garde rapprochée : ils sont d’abord accusés du meurtre de leur illustre voisin, le maître Fujikawa, puis se trouvent placés dans une délicate situation entre le shogun et les clans rivaux de la capitale. Sous les yeux de son disciple Matsuzo, Zenta parvient à démêler les fils de la sombre machination ourdie par l’un des clans, dont il est devenu une pièce maîtresse.
Les samouraïs se raillent
Dans un monde complexe, où il ne fait pas bon chatouiller la susceptibilité des seigneurs de guerre et de leurs samouraïs, Zenta sait admirablement naviguer entre les pièges dressés par les uns et les autres. Pour les pauvres Portugais, qui découvrent la subtilité de la langue et des intrigues du pouvoir à Miyako, la sagacité de leur gardien est vitale. Comme dans les autres aventures, Zenta parvient à extirper le fil de la vérité des pelotes enchevêtrées du pouvoir. Matsuzo joue les candides et son jeune âge, ses tentations amoureuses donnent une touche plus sentimentale à l’aventure.
Zenta est toujours aussi courageux, droit et perspicace. Il est respecté des plus grands maîtres, mais il a des exigences éthiques et anachroniques (dépassées ou en avance sur leur temps au XVIe siècle). Il ne veut pas servir n’importe quel maître et cette hauteur morale qui suscite des jalousies est, dans cette histoire, à l’origine de ses déboires. Elle manque aussi de l’entraîner à sa perte à la fin de l’aventure.
Aux ingrédients alléchants de la série, l’auteure ajoute une dose d’Histoire, une lampée d’interculturel et même un soupçon d’intercultuel (la confrontation du père Luis et d’un moine bouddhiste). Et c’est sans doute cette confrontation des cultures (costumes, gestes, nourriture, cuisine, modes de pensée) qui relève la saveur de cet épisode. Servis par de bons dialogues, les jugements hâtifs et sentencieux de nos compères détectives sont cocasses. On y reconnaît bien là la patte d’une Miss Namioka love-trotter qui a vécu en Chine jusqu’à l’âge de 8 ans, a passé sa jeunesse aux Etats-Unis et s’est mariée avec un Japonais.