L'Anse aux Crânes

Jean-Louis Fonteneau est connu pour ses réalisations pour les jeunes de tous âges, que ce soit pour des publications (Okapi, Toupie...), la radio ou sous forme d'albums. Avec la série Delta, il se tourne vers un public plus adulte, sans rien perdre de sa verve et de l'aspect onirique de son travail.

Matteo Simonacci arrive tout juste de son Italie natale pour assurer le dessin de Delta avec Roberto Ricci.  Ce dernier est un pur produit de Métal Hurlant et des auteurs de cette époque. Avant d'entamer Delta, il a travaillé sur des séries plus sérieuses telles que Les Ames d'Hélios.

Tout est une question d'échelle de valeurs

Gabriel est un jeune noble. Il a eu la malchance d'être capturé par une bande de pirates - pas très doués malgré cet exploit. Pour eux, il vaut dix kilos d'or, qu'ils comptent bien réclamer comme rançon à son père. En attendant, ils l'ont enfermé dans une prison très désagréable.

Pour la belle Lina, jeune indienne esclave des pirates, il vaut beaucoup plus que cela, ou moins, c'est selon... Même si celui-ci est incapable d'avoir de la gentillesse ni du respect pour une indienne. En tout cas, la jolie chamane va tout faire pour le libérer et partir avec lui traverser le Delta, quitte à tuer et à voir mourir un être cher.

Il ne vaut pas un bon ragoût pour les esclaves en fuite qui, mutilés et rejetés, se terrent dans les méandres du fleuve, tuant pour se protéger. Ni pour les crocodiles du fleuve, qui préfèreraient sûrement  se repaître d'un bon cheval et tuer son cavalier...

Mais la mort est-elle définitive, dans cet univers onirique peuplé de personnages étranges et hauts en couleurs ? Ce n'est en tout cas pas ce que pense le fantôme qui va prendre Gabriel à son service pour mener à bien sa vengeance...

Aucune faute de goût !

Le scénario de Fonteneau est implacable. Il nous entraîne, avec la lenteur qui convient à cette balade sur le fleuve paresseux, au long des pages. Il déroule l'histoire, laisse de la place aux personnages pour vivre, respirer et se présenter à nous. Au fil du récit, le lecteur se prend d'amitié pour chacun, se sent comme un visiteur accueilli par des amis dans ce Delta beau et dangereux.

Les dessinateurs ont su apporter eux aussi une ambiance chaleureuse et douce au dessin. Les tracés sont précis, parfois cruels, mais toujours justes et adaptés à la scène décrite. Les couleurs apportent la chaleur qui pourrait parfois manquer au scénario. Il y a dans cette album un délicat équilibre, une apparente fragilité et une complicité intéressante, agréable à accepter pour cette ballade.

Dans un registre plus léger, on retrouve ici des accents de La Ballade de la Mer Salée et des autres aventures de Corto Maltese : de l'eau, des femmes envoûtantes aux pouvoirs mystiques, des lieux étranges et une galerie de gueules incroyables. Avec des réflexions comparables sur le respect de l'autre, de sa culture et de sa personne.

Il s'agit d'un album plaisant et rafraîchissant.