Livre
Photo de Les Enfants de Dana

Les Enfants de Dana

Aux éditions :   -  Collection : 
Date de parution : 01/02/08  -  Livre
ISBN : 2978354080310
Commenter
Laurent Lavadou   - le 27/09/2018

Les Enfants de Dana

Grand admirateur de Jack Vance et passionné de mythologie germanique et scandinave, Nicolas Bouchard est né en 1962 dans l’Indre. Aujourd’hui juriste et écrivain multicartes, après de multiples nouvelles de jeunesse, il publie en 1997 son premier roman de SF Terminus Fomalhaut (Encrage). Après la trilogie de L’Empire de poussière, il réitère sa collaboration avec Mnémos : Les Enfants de Dana est une aventure au cœur de la mythologie celtique qui tranche avec l’étiquette de SF juridique que l’on attribue couramment à l’auteur. De combats improbables en épreuves de noblesse, Nicolas Bouchard nous livre un ouvrage digne de la grande tradition de la geste arthurienne où le surnaturel et la magie nous transportent hors des lois du temps et du réel…

La femme et le village

En proie à un désespoir qui la ronge, une jeune femme décide de quitter tout ce qui la retient dans un monde qui ne lui inspire que de la douleur : famille, amis, travail, elle laisse sa vie derrière elle et se lance dans un voyage sans but au seuil de l’hiver. Poussée par des rêves récurrents hantés de héros mythologiques familiers, elle rejoint le mystérieux et introuvable village breton de Magdoërec. Mais oublié de tous et à l’abri du monde réel, il s’agit en fait du légendaire pays circulaire de Magduired derrière une muraille que nul ne cherche à franchir, à part le Passeur. Alors qu’elle se rétablit lentement après l’accident qui lui a ouvert l’accès à Magduired, la voyageuse découvre que le village la préserve de la détresse qu’elle ressentait dans le monde des hommes. Durant sa convalescence, elle va employer son temps à comprendre ce qui anime les énigmatiques vieillards dans leurs maisonnettes tout droit sorties d’un Moyen Âge étonnamment préservé. D’autant qu’ils acceptent sa venue avec le plus grand naturel et avec la bénédiction du Gardien. Mais c’est surtout au contact des quatre adolescents Yrsa, Skadi, Sividur et Alwin que la nouvelle arrivante va réellement basculer dans le monde qui l’attendait. Et plonger au cœur d’une bataille légendaire qui, comme son chagrin, n’avait peut-être jamais trouvé son terme…

Dana entre nous…

Les Enfants de Dana s’inscrit dans la mythologie irlandaise et l’histoire guerrière des Tuatha Dé Danann contre les ennemis magiques et monstrueux de l’Irlande, les Fomoires. Solidement argumenté et documenté, on ne peut qu’adhérer à l’univers de l’auteur. Mais ne croyez pas qu’il s’agit d’une resucée de plus du celtic-show qui inonde le rayon « ésotérisme » des trop grandes librairies… A travers les rêves de la jeune femme, on apprend les exploits du dieu roi Nuada qui mena le peuple de Dana et perdit son bras lors de la « Première bataille de Mag Tuireadh » contre les Fir Bolg. Il fut par là même démis de sa légitimité à régner sur le peuple de Dana. Bres, le Roi Fomoire prit sa suite et c’est au cours de la seconde bataille de Mag Tuireadh que Nuada, armé de son bras d’argent par Diancecht reconquit son trône. Mais lorsque vagabonde déboussolée arrive à Magduired, le temps des dieux semble bien révolu et c’est une petite communauté d’inoffensifs ancêtres qui la recueille.

Les Enfants de Dana se situe dans une continuité contemporaine du mythe : bien sûr on retrouve les envolées romanesques des combats et des sentiments exacerbés du genre épique (l’amour, la fierté, la jalousie, l’honneur ou le devoir) ainsi qu’une détermination et une maîtrise des arts magiques chez les héros débridées. Mais c’est à travers le drame et les yeux d’une femme d’aujourd’hui désorientée que Nicolas Bouchard redonne une nouvelle dimension plus personnelle et intimiste aux héros celtiques affadis par trop d’usurpations et d’adaptations caricaturales (Manau en tête…). Voilà qui change tout…

Aux racines du monde

Le temps de la Terre est un des principaux acteurs de l’ouvrage. Comme dans de nombreuses civilisations anciennes, le rythme du soleil et des saisons commande à la vie sociale et spirituelle des hommes. Nicolas Bouchard en respecte la tradition à la lettre : la jeune femme abandonne sa vie d’avant au solstice d’hiver et les épreuves qu’elle subit à Magduired sont intimement liées à la science du soleil (elle se présente aux portes d’Ys à l’équinoxe de printemps et des grandes marées). L’auteur applique grandeur nature la valeur symbolique du cercle propre à la cosmogonie celte, au pays circulaire de Magduired. Et les quatre adolescents quant à eux symbolisent les quatre éléments naturels, piliers du savoir gaélique. Chacun d’entre eux possède un don, un pouvoir inné qui le relie à la Terre (l’aire, l’eau, la terre, le feu) et détermine à la fois son caractère.

Un récit cohérent sur le fond et la forme

Nicolas Bouchard choisit d’écrire à la première personne pour incarner une femme… Un choix osé pour un auteur masculin mais dans la lignée des convictions de l’écrivain : Bouchard aime mettre en scène les femmes et explorer leurs forces comme leurs failles. S’il semble les torturer, c’est pour mieux les faire rayonner et dépeindre leur personnalité complexe. Et ça marche. Si les premières pages où l’héroïne dévoile ses états d’âme induisent une légère distance, on rentre très vite dans ce récit d’une écriture fluide et abordable.
Au-delà de l’expression littéraire, le cheminement de la jeune femme est également porté par une typographie recherchée qui illustre ses différents états d'âme. Une trouvaille et un effort suffisamment rares pour saluer la hardiesse de l’éditeur.

Des ficelles pas toujours délicates…

Restent toutefois quelques lourdeurs sans conséquences, mais qui irritent et ne font pas avancer l'intrigue. Comme par exemple le fait de ne pas donner de nom à la jeune femme...
L’arrivée de l'héroïne à Magduired laisse également un peu perplexe : un mur en pleine Bretagne près de Guingamp, dont les vieux ne savent pas grand chose et dont personne ne sait ce qu’il y a derrière. Et cela dans l’indifférence générale… On regrettera que la chose soit mise en scène avec une telle bonhomie, parce que cela entache un tant soit peu la crédibilité du lien entre réel et imaginaire mis en scène par l’auteur.
Enfin, l’initiation de la jeune femme par les quatre adolescents s'émaille de combats équivoques qui se situent dangereusement entre récit épique et pugilat d’avatars vidéo…

Les légendes celtes autrement...

Parce qu’elle s’appuie sur une connaissance encyclopédique de la mythologie celte, la fantasy de Bouchard ravira les adeptes du genre. On est bien loin des quêtes rustaudes et exploits machistes qui caractérisent les réinterprétations contemporaines naïvement romancées du cycle arthurien. Malgré un  dénouement ambigu, c’est un pari osé que Nicolas Bouchard mène avec cohérence et conviction.
En reliant l’époque légendaire de Dana à notre temps, l’auteur s’émancipe de la vulgarisation littéraire celtisante et met en scène la femme universelle, inspiratrice des légendes des hommes.
De quoi offrir un livre touchant et troublant…

Genres / Mots-clés

Partager cet article

Qu'en pensez-vous ?