Christian
- le 20/09/2018
Le Village du chat vampire
Lensey Namioka, dont le prénom, unique au monde, fut créé par son père, a quitté la Chine pour les Etats-Unis à l’âge de neuf ans. Elle écrit depuis une trentaine d’années des nouvelles, des romans sur le thème de la double identité culturelle : La famille Yang (une famille de musiciens installée à Seattle) est une série jeunesse qui a été traduite en chinois pour apprendre l’anglais et la culture américaine, son dernier roman Mismatch rapproche une sino-américaine et un nippo-américain en butte avec leurs familles.
Mariée à un japonais, Lensey Namioka s’est prise de passion pour les samouraïs à l’occasion de sa première visite du château de Namioka. Sa description des lieux, des intrigues ou des comportements des personnages est profondément imprégnée de culture japonaise. A ses énigmes « policières » sont toujours greffés des faits sociaux ou politiques ayant marqué le XVIe siècle nippon. Dans les sept ouvrages de sa série des deux samouraïs errants (rônins), son souci de mixité culturelle se manifeste par la rencontre entre une société japonaise statique, confucéenne et l’obsession individualiste, dynamique, et pour tout dire occidentale, de la recherche de la vérité.
Pour leur quatrième aventure, les samouraïs errants (rônins) Zenta et Matsudo quittent la capitale japonaise (Les Diables au long nez) et les cerisiers en fleurs (La Vallée des cerisiers brisés) pour un village désolé, en proie aux rapaces de tous genres. Dans cet univers plus clos que les précédents, les deux fiers compères vont devoir user de leur art militaire et défier un « vampire » aussi secret que cruel. Cette fois-ci, on frise le fantastique.
Le chat du village vampire
En plein hiver, Zenta veut revoir son maître de thé et maître d’armes, Ikken. Mais tandis que les deux rônins se rendent dans son village de montagne, ils échappent de peu à une créature griffue aux miaulements de chat. Arrivés dans la taverne du village, ils apprennent qu’un chat vampire terrorise la population. Insaisissable, ce serial griffeur a déjà tué quatre jeunes filles. Il pourrait même être assisté par une bande de brigands colporteurs qui vendent des potions protectrices.
Les deux rônins logent chez le vieux maître Ikken qui semble troublé par les agissements du démon. Confiants, Zenta et Matsudo se proposent de débarrasser le village de ses prédateurs et du matou sanguinaire. Pour cela, il faudra revenir sur le passé et sur cette bataille survenue trois ans plus tôt non loin du village, où les habitants ont, selon la rumeur, massacré et volé les soldats vaincus. Le démon est-il venu venger les samouraïs déchus ?
Un polar exotique et moral bien formaté
Les intrigues de Lensey Namioka sont cadencées au métronome. L’intrigue évolue inexorablement à un rythme constant vers le dénouement final. Elle donne peu à peu tous les éléments pour identifier le coupable et comme, Tao oblige, personne n’est tout blanc ou tout noir, c’est rarement un des méchants du début. Une pointe de combat individuel, de l’exotisme culturel, la construction progressive du puzzle, ce quatrième volume ne déroge pas aux habitudes. Matsudo y fera davantage preuve de sentimentalisme, on y parle davantage de la condition féminine (mariage forcé, relation entre mère et fille), on assistera même, fait plutôt rare jusqu’ici, à une bataille retranchée. On flirte avec le Juge Ti, un film d’Ozu et les sept samouraïs.
Ecriture efficace. L’auteure va au plus court. Tout est si bien huilé que la surprise vient plutôt du décor, des anecdotes ou de l’arrière-plan social. Pour un maître de thé, concocter et servir le thé est un art. Le moindre geste traduit la tempérance, la hauteur de vue, l’égard pour ses hôtes. La science d’Ikken nous vaut quelques passages très intéressants sur les relations entre le fond et la forme dans la culture asiatique. Les querelles d’héritage mettent en évidence une des transformations de la société japonaise au XVIe siècle : la classe des marchands supplante peu à peu celle des hommes de guerre. L’attitude des paysans face à une attaque des brigands est moins manichéenne et bien plus drôle que celle des paysans de Kurosawa ou de John Sturges (Les sept mercenaires).
Une aventure sans vraie surprise, mais toujours bien bâtie et agréable à lire. Sans oublier la rigueur morale et les leçons de vie qui devraient séduire ou amuser les plus jeunes.