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Le Phénix exultant

Aux éditions : 
Date de parution : 14/03/08  -  Livre
ISBN : 9782253124771
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Nathalie   - le 20/09/2018

Le Phénix exultant : Dépossédé en Utopie

John C. Wright a suivi à l’université St. John's College à Annapolis le programme ”Great Books” qui consiste à faire lire aux étudiants tous les grands livres occidentaux en commençant par l’Antiquité dans leur langue d’origine sans s’encombrer d’études, d’analyses ni de commentaires. Il exprime ainsi le bagage que confèrent de telles études : ”Vous êtes comme un homme doué de mémoire au royaume des amnésiques”. Même s’il a commencé à écrire à l’âge de neuf ans, il lui faudra attendre longtemps avant d’être publié, victime du paradoxe anglo-saxon : il est très difficile de trouver un éditeur sans avoir un agent et il est très difficile de trouver un agent tant que l’on n’a pas trouvé d’éditeur. Finalement, ce sont ses nouvelles qui ouvriront la voie. Son premier roman The Golden Age a été très remarqué. Il lui a suffi d’un an et demi pour achever cette trilogie et il a déjà entamé une autre saga avec The Last Guardian of Everness et Mists of Everness.

« Etrange qu’un homme puisse mourir faute de rêver. Ou peut-être pas si étrange que ça. »
Phaéton, banni de l’Œcumène d’or échoue sur l’île de Ceylan qui abrite tous ceux que l’Œcumène a rejetés. Il y trouve une communauté violente soi-disant égalitaire mais en réalité dirigée par Joie-de-Fer qui exploite les autres et leur vend des échappatoires malsains à leur réalité sordide. Phaéton veut renverser cet ordre des choses et amener ses compagnons d’infortune à s’en sortir. Il peine cependant à obtenir l’adhésion de ces flottis qui ont fini par se résigner à leur sort. Refusant par crainte d’une attaque virale de se connecter à la Mentalité, Phaéton a bien du mal à joindre les Neptuniens et à les convaincre qu’il est le seul commandant possible pour son astronef. Seule la détermination de Daphné, le clone de sa femme qui l’aime toujours, et l’intervention du dernier soldat au monde, le maréchal Atkins, lui permettent d’échapper au jugement arbitraire auquel ont abouti les manœuvres de l’Œcumène de silence, les survivants d’un cataclysme qui avait terrassé une lointaine et ancienne colonie.

Amplification et érudition

Ce second tome pourrait se lire indépendamment du premier grâce aux récits que se font les deux voyageurs, Phaéton et le cyborg qui se présente comme Bellipotente, se livrant en cela à un rituel souvent utilisé dans le space opéra et hérité d’une longue tradition littéraire. L’intrigue se densifie notamment parce que Daphné démonte toute la machination dont Phaéton se prétend victime, la faisant passer pour le fruit d’une paranoïa et exposant une alternative très convaincante. Apparaissent également de nouveaux conflits d’intérêt en lui révélant qu’il est le plus vieux rêve de l’humanité, Vieille-Femme-de-la-mer fait de Phaéton son champion dans le conflit qui l’oppose à sa sœur Terresprit, incarnation de la logique et la structure alors que Vieille-Femme-de-la-mer se bat pour implanter le chaos, le changement. Daphné interroge les sophotechs sur la motivation de leur dévouement aux humains.
Wright déploie une grande variété de styles afin de faire coïncider au mieux façon de penser et expression ainsi la transaction entre Fille-de-la-mer et Phaéton s’effectue dans un ton très empathique, ampoulé et métaphysique.
D’autres grandes réflexions ponctuent le roman la dépendance de l’homme au progrès et au confort qu’il véhicule, la tension entre le besoin d’unité et le désir d’individualité. Deux épisodes déroulent le système philosophique qui semble régir l’Œcumène du silence. « La santé mentale c’est la soumission à la réalité. La réalité est imparfaite. Il est insane de se soumettre à l’imperfection » proclamait leur dernier message avant ce qu’on a pris pour la disparition de cette civilisation. Et l’agresseur de Phaéton qui veut le persuader de rejoindre leur camp énonce : « «Seule la douleur est réelle ». Le sous-titre avec sa référence à More oriente ce tome vers une réflexion poussée. Pour autant l’auteur ne glisse pas dans les démonstrations stériles ou l’austérité puisqu’il recourt plus souvent à l’humour que dans le tome précédent.
De nombreuses métaphores du livre sont construites par rapprochement avec des personnages ou des épisodes de la littérature de l’imaginaire. Cet hommage devient explicite quand Phaéton compose son équipage à partir des grandes figures de l’histoire et des mythes.

Des avantages et inconvénients de l’ambition

Ce livre complexe et aux multiples strates peut dérouter dans certains passages qui nuisent à la fluidité du tout. L’intrigue repose sur une telle structure que faute de connaissance pour le domaine qui a inspiré tel ou tel élément, on peut perdre pied dans sa lecture.
Ainsi, la phrase « En règle générale, les lignes de contrôle des mannequins sont stockées près de la surface du maillage du câble principal, car son axe est réservé aux lignes dédiées nouménales polyphotoniques, qui nécessitent une isolation plus élevée » peut donner du fil à retordre aux lecteurs de formation littéraire. Les longs raisonnements métaphysiques ou les joutes verbales peuvent agacer les férus d’aventure. Si ce livre pêche, c’est donc par richesse et c’est le pêché le plus facile à pardonner car chaque lecteur trouvera des raisons d’être séduit par ce texte à l’opposé des fictions romantiques (encore que l’amour trouve aussi sa place dans l’histoire) simplistes que compose Daphné.

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