Trahison
Avant de livrer au monde les cycles qui l’ont rendu célèbre (les cycles d’Ender, de Bean, d’Alvin le Faiseur ou encore Terre des Origines), Orson Scott Card a aussi écrit Une planète nommée trahison, un roman qui a moins marqué les esprits. Conscient des faiblesses du livre, il y revient à la fin des années 80 et nous livre une nouvelle version avec un titre plus court et 10% de texte en plus. Ce n’est qu’aujourd’hui, vingt ans plus tard, que l’Atalante offre cette réécriture à tous les fans en manque de l’auteur le plus mormon de la science-fiction, tandis que chez Bragelonne paraît Personnages et points de vue, deuxième volet de sa méthode d’écriture.
Sans contrefaçon, je suis un garçon
On ne rigole pas avec la loyauté, dans la République. Toutes les familles reconnues coupables de trahison sont exilées sur une sinistre planète justement nommée Trahison, et sur laquelle on trouve si peu de fer qu’il n’est pas envisageable de construire un vaisseau spatial pour s’en échapper. Trois mille ans après l’Exil, les choses n’ont pas beaucoup changé et les descendants des familles originelles se disputent toujours le peu de fer que l’on peut tirer du sol, à coup de guerres et de conquêtes. Chez les Mueller, la bio-ingénierie génétique permet aux soldats de guérir instantanément leurs blessures et même de régénérer les membres amputés. Un talent qui, mal maîtrisé, peut mener à une prolifération anarchique des cellules, et transformer ainsi Lanik, fils du roi et héritier légitime, en aberration génétique. Pour le sauver d’une mort certaine, le roi est forcé de condamner son fils à l’exil, et d’en faire son espion dans les royaumes voisins. Une aventure qui mènera Lanik sur les traces d’un des plus anciens secrets de Trahison…
Dis maman, pourquoi je suis pas un garçon ?
Chez l’Atalante, on l’a bien compris, rien n’a changé depuis les années 70 : rien de tel pour vendre de la science-fiction qu’une belle paire de nichons sur la couverture. Mais saluons l’honnêteté intellectuelle de la maison nantaise qui l’a toutefois poussée – puisque le héros est un homme – à ajouter au personnage de couverture des muscles abdominaux sculpturaux et une bite qui pendouille. L’expérience est en elle-même intéressante : Orson Scott Card peut-il vendre un roman vieux de vingt ans sur son seul nom ? Sans aucun doute. Mais par combien les ventes seront-elles divisées s’il on y ajoute en première de couverture un transsexuel vert sur fond orange flashy ? Quelles humiliations les fans sont-ils prêts à endurer pour l’amour de leur auteur préféré ? À moins que tout ceci ne participe d’une lente et méthodique entreprise de l’Atalante pour se saborder, et plus généralement du vent de folie qui souffle actuellement sur l’édition française, et qui nous a déjà valu les couvertures de Jackie Paternoster chez Robert Laffont. L'avenir nous le dira.
Mais revenons-en à la littérature.
Trahison est un roman de jeunesse assez lent et bourré de maladresses. Sa narration à la première personne, au passé simple, digne d’une copie de CM2, et son protagoniste dénué de personnalité, plat au possible, contribuent à faire des cent premières pages un véritable calvaire. À tel point qu’on se désintéresse rapidement des péripéties du héros pour se passionner plutôt pour le monde décrit par Card.
Chaque royaume issu d’une des familles exilées originelles a ainsi hérité d’un talent correspondant au métier du premier exilé. Ainsi, c’est parce que le premier Mueller était un généticien que tous ses descendants disposent du talent de pouvoir guérir instantanément de leurs blessures. Dès lors, chaque traversée d’un nouveau royaume par Lanik se transforme en jeu policier dans lequel il faut deviner quel peut être le talent qu’ont développé ses habitants, plusieurs milliers d’années après la colonisation de la planète. Ici, Card fait vraiment preuve d’imagination et surtout d’un certain don pour la mise en scène. Trahison n’est pas dénué d’une certaine spiritualité, voire d’épisodes mystiques, mais qui comme toujours chez Card, n’ont rien de surnaturel et peuvent être expliqués par la science. Tous ces éléments ne sont pas sans rappeler le cycle Terre des Origines, dont on peut considérer que Trahison est une esquisse un peu maladroite.
Ce n’est finalement qu’à la page 239, moins de cent pages avant la fin, que l’intrigue décolle vraiment et que Lanik, se découvrant un objectif, cesse ses errements aléatoires. Dès le moment où il donne un but à son héros, Card donne aussi un intérêt à son histoire, et ne nous lâche plus avant la dernière page, avec la densité à laquelle il nous a habitués dans ses romans suivants. Quel dommage que ce rebondissement ne survienne que dans le dernier quart du roman !
Trahison n’est pas un mauvais roman, pour peu que l’on parvienne à dépasser les cent premières pages un peu poussives. Mais tant qu’à être retravaillé, le roman aurait aussi gagné à voir corriger ses défauts de construction et de rythme pour le rendre plus dynamique. Dommage !