Gens de la Lune
Auteur de science-fiction depuis 1973, John Varley a créé son propre univers, les Huit Mondes, où se sont installés les survivants humains, éparpillés suite à une invasion extra-terrestre. Les Huit Mondes servent de décor à plusieurs romans comme Le Canal Ophite, Le Système Valentine ainsi qu’à de nombreuses nouvelles. Steel beach, roman de 1992 se situe dans ce même univers et devient Gens de la Lune en 1994, pour sa première publication en français chez Denoël. Quatorze ans plus tard, la collection Folio SF de Gallimard reprend en un volume unique les deux tomes parus en Présence du Futur.
Deux cent ans après l’Invasion
Hildy Jonhson est le journaliste vedette de Tétinfo, l’un des plus célèbres bloc-mags de la société sélénite. Âgé de plus de cent ans, il doit rédiger, avec l’aide de la jeune stagiaire Brenda, une série d’articles sur les différences de modes de vie entre la Terre et Luna. En cours d’enquête, il tente de mettre fin à sa vie, est sauvé in extremis, n’en garde aucun souvenir conscient et reprend son travail comme si de rien n’était. Intervient une deuxième tentative de suicide, puis une troisième, toutes empêchées par le Calculateur Central, super ordinateur qui entre alors en contact avec lui. Le C.C. lui révèle que de plus en plus de sélénites nourrissent des tendances suicidaires. Hildy change alors de sexe et consacre ses talents de reporter à la résolution de cette énigme.
Est-ce ainsi que les hommes vivent ?
À travers le regard de journaliste d'Hildy et grâce à son travail de documentation sur la vie terrestre, Varley offre une peinture assez précise du quotidien des Sélénites. Tout entiers plongés dans le progrès, ils dépendent du C.C. pour respirer, se nourrir, se divertir, etc. Ils disposent de boutons à presser, de commandes à formuler, d'un emploi symbolique à occuper quelques heures et de loisirs à ne savoir que faire. Les habitants de Luna ont la possibilité de changer d’apparence et même de sexe aussi souvent qu’il leur plaira et ils ne s’en privent pas. S’ils désirent s’affranchir quelque temps de la facilité, les gens de la lune peuvent se rendre dans des Disneys qui reproduisent avec beaucoup de réalisme les conditions de vie d’époques reculées sur terre. C’est ainsi que Hildy va s’installer dans une reconstitution du Texas pour y connaître la satisfaction de se construire soi-même une cabane et d’y cuisiner du chili et des tartes aux pommes. Elle aura même le bonheur de vivre un accouchement à l’ancienne, dont le récit évoquera immanquablement l’Immaculée conception de C. Dufour.
L’exceptionnelle longévité des Sélénites est une autre de leurs caractéristiques remarquables. Hildy a déjà fêté son centenaire, sa mère Callie est aussi vivante que possible et Andrew Mac Donald a dépassé les deux cent ans. Pour autant, l’immortalité n’est pas encore atteinte et fait partie des préoccupations du CC. La solution développée dans La Possibilité d’une île de Houellebecq fait partie des options envisagées par le super calculateur, même si, ici, le ton demeure bien plus léger.
Un roman de SF sur la SF
Les thèmes abordés dans Gens de la Lune sont bien des thèmes de SF. L'idée de la vie dans un environnement nouveau sous le contrôle d’une super intelligence artificielle est tout sauf originale. Le parti pris de Varley est de s’appuyer sur le corpus déjà connu. Les questionnements de Hal 9000 et de tous Les Robots, la médecine du Meilleur des mondes, le Big Brother de 1984, sont tous présents dans ce roman qui rend l’hommage plus explicite encore lorsque Hildy rencontre les « Heinleinistes », constitués en société libertaire et en révolte contre le pouvoir du C.C.
Le récit de Gens de la Lune est cependant une expérience de lecture unique à cause de l’humour délirant qui habite chaque page, du rythme soutenu de la narration et de la langue imagée employée par Varley. Les épisodes, truffés d’anecdotes sur la vie des Sélénites semblent partir dans tous les sens. Pourtant en bout de texte, on comprend que rien n’a été laissé au hasard, et tous les éléments épars trouvent finalement leur place.
L’ouvrage épais de près de 880 pages vaut son pesant d’or. C’est un grand texte qui devrait ravir aussi bien l’amateur de SF que le néophyte.