Désillusion
Nicolas Pona et Christophe Dubois réalisent ensemble la série du Cycle d'Ostruce, une uchronie fantastique dans la Russie de 1917. Un pays tellement semblable à celui de notre univers, avec ses Russes blancs et ses rouges, ses soldats fanatiques et ses paysans désespérés, ses ruines d'un empire en déliquescence et l'arrivée d'un siècle plein d'inventions, de découvertes et d'expérimentations.
Une série réfléchie
Le premier volume était un road-movie, une fuite en rouge et blanc dans un monde qu'il nous fallait découvrir, tandis que les héroïnes, elles, devaient s'inventer une féminité, accepter une raison d'être dans le chaos qui s'effondrait autour d'elles. Le second volet, plus fantastique, présentait d'autres facettes issues de l'imaginaire de Nicolas Pona, depuis les petits dieux, faibles et attachants, jusqu'à la gigantesque figure de proue pensante et sensible du dirigeable. Les auteurs parlaient de confrontations, de puissance et d'abnégation, de femmes en colère ou simplement en lutte.
Pour ce troisième volet, ils ont choisi un esprit bien plus intime, une vue plus personnelle de ces femmes qui dominent ce cycle. Ajjer, terriblement blessée à la fin du tome 2, agonise. Son amie Katiana, aidée par un ogre et ses amis garous, arrive à l'emporter jusqu'à un sanatorium qui abrite le seul médecin capable de la sauver. Là, désarmée, à la merci d'un docteur fou adepte des électrochocs, elle devra retrouver le chemin de la raison et de l'humanité en elle-même, au milieu de la folie engendrée par les expériences immondes et les aberrations du professeur et de ses assistantes démentes.
Un tome intéressant
Le rythme est lent, chaque page, chaque instant est posé comme une interrogation sur l'être, sur l'humain et sa destinée. Peu de combats, mais une douleur, une attente de la guérison qui ne passe que par l'acceptation. Les blessures physiques sont une chose, mais le déchirement du changement, symbolisé à la fois par les machines-fées du docteur et la révolution dans la capitale, apporte une torture venue de l'intérieur qui ronge l'esprit. Et la délivrance vient souvent du don de soi que représente l'amour. Comme toujours, Katiana est là, catalyseur et exutoire, la chamane dont la simple présence apaise et rend logique même le plus impensable.
Encore une fois, les deux auteurs ont su à la fois nous offrir un album splendide et une vision profonde et réfléchie. Les dessins sont toujours aussi beaux, utilisant avec bonheur les techniques venues de grands maîtres comme Pratt pour les adapter au sujet et au contexte. Et les traits de Dubois servent parfaitement la belle réflexion de Pona. Un album plus calme, moins flamboyant que les précédents, mais d'une qualité égale.