Christian
- le 31/10/2017
Une si jolie petite planète
La collection Rivière Blanche s'était donné pour objectif de publier les grands anciens du Fleuve Noir et des nouveaux talents. Jacques Hoven, alias Jacques Conia, fait partie de la première catégorie. Habitué du Fleuve Noir dans les années 70, il ne publiait déjà plus en 1987 quand Christopher Stork, alias Stéphane Jourat, signait Une si jolie petite planète. Il était question d'une planète Platon où les autochtones, de tranquilles philosophes, voyaient débarquer quatre malfrats terriens et où le pitch consistait à savoir quelle non-arme ils allaient utiliser contres les quatre détraqués. Le thème du titre homonyme de Jacques Hoven est un peu plus excitant : un explorateur télépathe découvre une planète jolie et petite et de nouvelles expériences sexuelles. Mais, cette fois-ci, l'ironie nous est servie, dès le quatrième de couverture, comme l’un des principaux ingrédients du roman : "L'humour et la dérision sont-ils solubles dans la science-fiction ?". Dans le roman, la réponse est "oui, mais surtout avec du sexe...".
Journaliste à l'ORTF, Jacques Hoven avait été très remarqué pour son premier roman Adieu Cered, cité parfois dans les bibliographies US comme un classique de la SF français. Il a produit un fleuve noir par an pendant une dizaine d'années. Le résultat est assez inégal. Il a livré des romans intéressants avec Les Non-humains (une adaptation SF du Désert des Tartares) ou Les Intemporels (trois inconnus entre passé, présent et futur, se réveillent dans un univers vide). Réputé pour son usage des référents et procédés des romans coloniaux (le thème du désert dans La Vénus de l’Himmenadrock) et son écriture élégante, vive et désinvolte.
Exosexe et grand amour
En tant qu’Explorateur Sensitif d’Outre Espace (ESOE), les dons télépathiques du héros sont utilisés par l’élite de l’armée spatiale pour sonder l’esprit des groupes aliens avec lesquels elle entre en contact. À l’atterrissage sur une planète inconnue, il perçoit un désir d’amour chez les indigènes, mais de là à prévoir que toute la troupe, le général en tête, se ferait joyeusement sodomiser à leur premier contact… Il est viré. Il trouve un emploi de détective privé, spécialité « exosexologie ».
À la suite d’un long voyage, où il doit endurer dans sa cabine les ébats onaniques d’hermaphrodites de Rigel, il est envoyé sur la planète Wahit, du nom de son explorateur, un aventurier qui l’a décrite comme un paradis habitée par des anthropoïdes très accueillants. Alors que des vers en montgolfière font, par la pensée, la promotion des plaisirs solitaires, notre explorateur sexuel y découvre le grand amour. Enfin presque.
L’humour, c’est mieux avec l’exosexe
Le sexe, c’est parfois drôle, mais l’exosexe, ça peut être redoutable. Il n’y a aucune raison pour que les aliens aient la même conception du sexe et les mêmes pratiques sexuelles que les humains (ce n’est déjà pas le cas entre les humains). Du coup (si j’ose dire), fréquenter les aliens, c’est s’exposer à certaines surprises. Et même quand vous êtes un spécialiste (un exosexologue), il y a des us qui peuvent vous surprendre : une pénétration annale en guise de bonjour amical, une partie carrée à deux hermaphrodites, une arachno-anthropoïde qui vous aspire le cerveau au moment de l’extase, des vers militants de l’onanisme, les ménages à trois dignes des Dieux eux-mêmes d’Asimov, en plus grotesque.
C’est clair, dans ce livre, l’exosexe est le ressort le plus efficace de l’humour, mais la distance très british que le narrateur prend avec les événements et les choses est drôle et donne le ton à l’ouvrage. Dans un langage châtié, qui fleure bon son explorateur désuet, au point de vue prude et bien pensant, l’auteur fait vivre à son personnage solitaire des aventures insolites, vécues au premier degré. Malgré toute sa solitude et son détachement, le héros est un grand naïf qui met du temps à deviner ce que l’auteur a vite fait comprendre au lecteur et on le voit cheminer, à la recherche d’un grand amour, dans une errance coupable, tant elle est candide.
En cent soixante pages, on passe donc un moment agréable aux dépens d’un prétendu expert en exosexe, plus théoricien ingénu que praticien, manifestement. Le roman n’a d’autre ambition que d’amuser, car Jacques Hoven se refuse à creuser, autrement qu’en les effleurant, les thèmes des différences sexuelles et de l’incommunicabilité entre les êtres. Les technologies d’avant-garde et leurs fondements scientifiques sont balayés d’un sourire : le héros manque de rentrer chez lui dans une soucoupe volante martienne, dont la vocation essentielle est d’épier les ébats amoureux des humains ; la description de la déviance génétique des chromosomes sexuels est loufoque. Le contexte science-fictif n’est donc que l’habillage convenu d’un roman de voyage extraordinaire. Un voyage de rencontres avec d’autres peuplades primitives, dont les pratiques sexuelles sont, il est vrai, peu érotiques, mais franchement exotiques…