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P.U.A.T. 3 : autre temps

Aux éditions :   -  Collection : 
Date de parution : 28/02/10  -  Livre
ISBN : 9782914590174
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Christian   - le 31/10/2017

P.U.A.T. 3 : autre temps

Dans les années 90, un collectif d’écriture lancé par Lucie Chenu, Cyril Gazengel et Fabrice Lhomme, puis animé par le comité de rédaction du fanzine Géante Rouge, décidait de prendre pour étrange acronyme « P.U.A.T. » en hommage à Van Vogt, l’auteur de Pour Une Autre Terre. Après deux recueils (Pour une autre terre, Pour un autre dieu) dont le second ne fut publié que sur Internet, la troisième livraison (Autre temps) s’est invitée pour les n°16 et 17 de Géante Rouge.

Le principe est simple : douze coauteurs, douze nouvelles. Chaque auteur écrit la première version d’une nouvelle reprise par les onze autres, sans mention d'aucun nom car l’ultime auteur a douze têtes. Chaque rédacteur transmet la version corrigée aux autres par e-mail. Un tableau de 12 x 12 cases permet de fixer l’ordre d’écriture et de suivre l’avancement des travaux. Ce qui ne va pas toujours sans désaccord. Les deux derniers ne modifient plus l’histoire. Ils ne peuvent que corriger le style et les fautes d’orthographe. Chaque contributeur peut modifier le cours de l‘histoire, avec d'éventuelles corrections de corrections qui en restituent le sens originel, mais chacun peut également enchâsser le récit précédent dans une autre histoire ou procéder par strates additionnelles qui prolongent le récit.

L’exercice n’a pas toujours été facile et Lucie Chenu, qui présente un commentaire méthodologique amusé et contextualisé à chaque nouvelle, avoue qu'il a fallu parfois composer avec les retards et imposer une durée limitée pour les corrections. Un challenge éprouvant, apparemment, mais intéressant pour les curieux qui n'ont jamais pratiqué l'exercice.

Douze nouvelles au fil du temps

Un édito déférent de Hugo van Gaert et une introduction en forme de mode d'emploi de Lucie Chenu précèdent les douze nouvelles :

Crache-Seconde : un frère crache du temps, l’autre avale du temps. Tant qu’ils sont ensemble, les choses vont bien.

De Temps en temps : Alex tombe dans un piège temporel en rendant visite à Lee Oswald et l’assassinat de Kennedy le 22 novembre 1963.

Le tableau : une jeune fille est attirée par le personnage d'un tableau et s'y engouffre au mépris du temps.

Eté 1943 : prise du bois de Vesely : un joueur retourne dans le passé pour participer à un combat contre les allemands en pleine deuxième guerre mondiale. Il est sanctionné pour avoir emporté avec lui une arme anachronique.

Si Saül m'était conté : Marcus, un grand prêtre de Mithra, se rend à une réunion œcuménique avec la grande prêtresse d’Isis pour intervenir dans le parcours passé du disciple de Jésus et entraver le succès de la religion chrétienne, mais c’est oublier la non-linéarité du temps.

Cycles de vie : des scientifiques et un politicien s’apprêtent à envoyer une dans le passé de la Cité interdite, pour interrompre les cycles de vie des gardiens du temps, mais ce n’est pas si simple.

De pêches en janvier : violer les barrières du temps peut être dangereux car la brigade temporelle veille. Il vaut mieux se contenter de peu.

Dans l'ère du temps : un chercheur en physique quantique travaillant sur un projet de machine à voyager dans le temps est aspiré dans le futur par une cabine téléphonique. Il y rencontrera un représentant de commerce habitué des déplacements temporels, qui va lui offrir la possibilité de retourner à son époque en ayant tout oublié. Mais ce n'est pas vraiment ce qui va se produire.

Annonciation : dans un village de bord de mer, un chevalier investit solennellement le pécheur Graam d'un devoir de procréation du prochain fils de la Déesse, mais celui-ci se défile. Le forgeron est ensuite désigné comme scribe, tenu de perpétuer par écrit la mémoire du village. Le refus de Graam ne va pas être sans incidence sur le déroulement du temps.

17 heures de misère : un accident temporel est survenu dans un centre de recherches sur l'Evénementisme, tout est figé en dehors des auteurs de l'expérience. Le retour au présent continu va conduire à une scission de la ligne du temps et à un rebond soudain de la réalité.

Divagations temporelles : deux jeunes auteurs imaginent les pérégrinations historiques et préhistoriques d'un certain Cornelius Davenport à l'aide d'une toupie temporelle, jusqu'à ce qu'il décide d'aller au commencement de l'univers.

Mille tours du temps : une rescapée de l’effondrement des deux Tours jumelles le 11 septembre 2001 reprend conscience parmi les prophètes de la Bible qui enjoliveront quelque peu son récit.

Grandeurs et limites du genre

Les technologies mobiles et Internet (e-mails, chat, forums, partage de documents, blogs, outils wiki, text-to-text, SMS, etc.) ont rendu possibles de nouvelles formes de littérature. Des collectifs littéraires se sont constitués de façon spontanée (Overwriting, ColLiPyj, ONLiT, pour ne citer que des expériences françaises). Des auteurs ouvrent régulièrement leurs blogs à la création d’œuvres à plusieurs mains. Des concours d’écriture collective sont organisés entre collèges ou entre sites spécialisés. Des pages de forums littéraires sont consacrées à l’écriture de romans partagés. Les NTIC (Nouvelles Technologies de l'Information et de la Communication) sont de puissants vecteurs de créativité .

La démarche du P.U.A.T. s’inscrit donc dans l’air du temps : s’échanger à une douzaine d’auteurs des nouvelles SF par e-mail, les travailler successivement, jusqu’à aboutir à un récit commun lisible. Son originalité n’est pas dans le thème choisi (le temps), mais, paradoxalement, le retour à un mode de publication classique. L’aboutissement n’est pas englouti dans les pages inaccessibles d’un site anonyme, mais il s'intègre en tant que 16ème et 17ème numéro du fanzine SF « Géante rouge ». Une "vraie" publication, pas un recueil virtuel.

Ce n'est pas une démarche avant-gardiste ou une revendication linguistique particulière. Les organisateurs ne sont pas des militants de la technolittérature ou des accros de l’œuvre collective. Il s’agit davantage d’un jeu interactif, d’un laboratoire artistique et d’une initiative qui sort de l’ordinaire littéraire. En dehors de Lucie Chenu et de Pierre Gévart, les auteurs ne sont pas (encore) connus du public. Ils ont produit plutôt des nouvelles que des romans. Pas de présomption donc et une claire mesure des limites du genre. Comme le précise Hugo van Gaert, (alias Pierre Gévart) le nouveau rédacteur-en-chef de Géante Rouge, après le départ de Pierre Gévart (alias Hugo van Gaert) pour Galaxies, en parlant des récits publiés : « Peu d’entre eux, sans doute, auraient franchi le barrage de l'œil critique des deux personnes qui les présentent rassemblés".

C'est qu'en effet, les expériences littéraires collectives donnent souvent des résultats moins intéressants pour les lecteurs que pour les auteurs. Ces derniers éprouvent un certain plaisir à voir évoluer les textes, s’amusent de leurs déformations, perçoivent dans l’écriture les contributions des uns et des autres. Ils frottent leur style à celui des autres et, même si la tournure finale est normalisée, si les audaces sont limées par la multitude, le rédacteur retire de cette confrontation une certaine leçon d'écriture. Les lecteurs, eux, ne voient que le résultat final. Peu leur importe l’équilibre des apports entre les auteurs, le nombre de rédacteurs, pourvu que le texte final soit cohérent (ou fichtrement incohérent !), intéressant et bien écrit. Il est rare qu’ils aient accès à toutes les strates de l’œuvre (sauf si certaines règles strictes sont appliquées : chaque auteur est limité à un paragraphe et à un seul, par exemple). Ils n'ont pas l'occasion d'en apprécier la lente et tumultueuse élaboration.

Fructueuse pour les douze coauteurs, cette collaboration a-t-elle un intérêt pour le lecteur? Comme le reconnaît Lucie Chenu, la production est assez inégale. Quelques nouvelles se détachent du lot pour leur pitch ou leur chute, comme la première et la dernière ("Crache-seconde" et "Mille tours du temps"), mais la garniture est moins relevée. Pour des nouvelles qui restent encore d'une tenue convenable ("Cycles de vie", "Des pêches en janvier", « Si Saül m’était conté »), certaines sont même faibles sur le ton et le contenu ("17 heures de misère", "Divagations temporelles"). D'autres pèchent par leur manque d'originalité ("Le tableau", "De temps en temps", "Dans l'ère du temps"). Comme à l'accoutumée dans ce genre d'exercice, l'écriture, lisible, plutôt limpide, manque de relief. Elle manque de hardiesse et les quelques formules ou passages bien sentis sont noyés dans un style impersonnel. Rien de monstrueux, mais rien de mirobolant non plus. C'est le service littéraire minimum garanti.

Il serait intéressant de voir le résultat si l'on associait une douzaine des meilleurs auteurs de SF francophone... Une idée pour ActuSF ?
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