Une porte sur l'été
C'est en 1907 que Robert Anson Heinlein naît, dans le Missouri, au milieu de la « Bible Belt ». L'éducation religieuse qu'on lui donnera ne l'empêchera pas de devenir athée, mais elle influencera son Œuvre également marquée par une courte carrière militaire. Heinlein sert en effet dans la Marine pendant cinq ans avant de devoir quitter l'armée pour des raisons de santé.
Débute alors la carrière littéraire d'un des plus grands auteurs de science-fiction, qui aura marqué le genre avec son Histoire du futur ou des romans comme Sixième colonne (1941), Étoiles, garde-à-vous ! (1959) ou encore Révolte sur la Lune (1966).
On pourrait citer bien d'autres œuvres marquantes de cet auteur qui nous a quitté en 1988 et qui font l'objet de réédition régulière. C'est maintenant le tour de Une porte sur l'été, autrefois au catalogue J'ai Lu mais qui a rejoint celui du Livre de Poche, près de quinze ans après sa dernière édition.
Un inventeur, un chat, un voyage dans le temps
Dan Davis est un des meilleurs ingénieurs au monde. Son plus proche compagnon est Petronius le Sage, matou bagarreur qu'il emmène partout dans un sac de voyage. Inventeur de génie, il imagine le robot-à-tout-faire, machine qui va révolutionner le quotidien de la femme et lui faire gagner, à lui et à ses associés, Miles Gentry et la ravissante Belle Darkin, une fortune. C'est toutefois sans compter sur la duplicité de ces deux personnages qu'il croyait ses amis. Dépouillé de ses droits sur la société Robot Maison qu'ils ont fondée, plongé en Long Sommeil, le voilà catapulté trente ans dans le futur, en l'an 2000, avec la ferme intention de faire payer ceux qui l'ont volé, ont tué son fidèle compagnon félin et l'ont éloigné de celle qu'il aime...
Un roman qui a très mal vieilli
Robert Heinlein était un de ces auteurs de science-fiction qui s'intéressaient de façon pratique à ce que pourrait être notre futur. Il imagina par exemple une maison idéale, fournissant tout le confort et le matériel domestique moderne. Dans Une porte sur l'été, sa passion pour l'anticipation est mise en application avec un personnage principal imaginant des machines destinées à faciliter la vie quotidienne de ses contemporains.
Ainsi, Heinlein fait preuve de beaucoup d'inventivité dans ce roman écrit en 1956 mais dont une partie de l'action se déroule en 1970. Il s'attarde sur de nombreux détails techniques pour rendre crédibles les inventions de Dan Davis . Lorsqu'après une cure de Long Sommeil – une hibernation cryogénique proposée par des sociétés d'assurances –, il se retrouve en l'an 2000, il devra s'adapter aux évolutions techniques qu'a connu le monde en trente ans. L'occasion, pour l'auteur, de fournir une vision personnelle de la vie au quotidien de l'humanité près de cinquante ans après l'écriture du roman.
Seulement, Robert Heinlein est à côté de plaque pour à peu près chaque élément de son roman. Certes, on ne peut pas vraiment lui reprocher de s'être trompé sur les éléments matériels, puisqu'il est bien hasardeux d'affirmer que demain telle ou telle innovation fera partie du trousseau du citoyen moyen. Toutefois, Heinlein se penche tellement sur les détails techniques qu'ils finissent par être au centre du récit, donc incontournables. Difficile d'en faire abstraction et de ne pas trouver ridicule l'univers futuriste (maintenant rétro-futuriste) de l'auteur.
Plus grave, Heinlein se montre un piètre sociologue dans Une porte sur l'été. Il ne s'intéresse en effet que très peu aux conséquences économiques et sociales des évolutions technologiques qu'il présente. Ainsi, s'il évoque le libéralisme extrême sur environ une page, il n'imagine pas de véritables changements dans la vie quotidienne et la mentalité des Américains. Heinlein échoue dans la présentation d'une société différente de celle des années cinquante. Le lecteur est autorisé à rire de l'image de la femme que donne Heinlein, puisqu'on attend encore d'elle, dans les années 2000 misogynes de l'auteur, qu'elle soit mariée, dévouée et sans autre aspiration que celle de bien s'occuper de la maison. D'ailleurs, Belle Darkin, qui n'est pas de ces femmes respectables, est un escroc de la pire espèce, démontrant bien qu'il faut se méfier des membres délurés de la gent féminine...
Une histoire qui aurait presque pu être passionnante
On l'a vu, Une porte sur l'été est un roman dont les aspects anticipatifs ne convainquent pas. L'aventure de Dan Davis non plus.
Si les péripéties initiales du personnage principal – l'escroquerie montée par ses associés – captent sans difficulté l'attention le lecteur, elles se transforment rapidement en une histoire de voyage dans le temps. Le roman, qui aurait pu être un thriller science-fictif passionnant devient alors un simple récit d'anticipation raté. Davis va en effet vivre deux expériences temporelles. La première est crédible, bien qu'on se demande comment le Long Sommeil n'a pas pu bouleverser la société occidentale, mais la deuxième est moins maîtrisée, l'auteur n'évitant pas tous les pièges du paradoxe temporel. Surtout, Dan Davis s'en sort bien facilement en fin du récit, retrouvant amis fidèles, femme dévouée et animal de compagnie adoré.
Petronius le Sage est d'ailleurs un des éléments qui laissent le plus dubitatif. Il ne représente rien de plus qu'un artifice scénaristique, ne prenant aucune place importante dans le récit. Il sert surtout à amener une jolie image reprise comme titre du roman. Les amoureux des chats risquent d'être bien déçus en se rendant compte de l'importance plus que relative de l'animal dans le récit. Mais au moins a-t-il le mérite de rendre Dan Davis plus sympathique... Les personnages sont d'ailleurs la seule qualité de Une porte sur l'été. Ils sont authentiques, possèdent des personnalités avec lesquelles Heinlein joue habilement... On pourrait presque s'attacher au héros, Belle Darkin est parfaitement détestable, et cætera. Mais pas de quoi passionner le lecteur.
Heinlein a fait bien mieux
Certains romans traversent les décennies sans prendre une ride. Ce n'est pas le cas de Une porte sur l'été, roman dans lequel Robert Heinlein raconte une histoire qui tourne en eau de boudin. On peut s'interroger sur l'intérêt de la réédition d'un roman d'une aussi piètre qualité, sinon de démontrer que même les plus grands auteurs ont pu écrire de mauvais livres, ancrés dans leur époque et imprégnés d'une vision rétrograde de la société et de la technologie malgré le caractère anticipatif qu'on veut leur faire porter.