Starfish
Peter Watts est un biologiste marin canadien qui s’appuie sur ses connaissances scientifiques pour élaborer l’univers de ses fictions. Il s’est déjà fait connaître dans l’Hexagone avec Vision aveugle. Premier volume d’une trilogie, mais aussi premier roman de l’auteur (paru en 1999 en langue anglaise), Starfish tire son origine d’une nouvelle datant de 1991, et déjà parue en français dans Bifrost n°54 (avril 2009).
Une station géothermique au fin fond de l'océan Pacifique
Les Etats-Unis ont installé une station géothermique dans les abysses de l’océan Pacifique, au niveau de la dorsale Juan de Fuca, près de la cheminée Channer, afin de produire l’énergie nécessaire au continent, surpeuplé par les réfugiés climatiques. La station Beebe (du nom de l'inventeur de la bathysphère), projet géré par l’ARE, constitue la première tentative de vie humaine à de telles profondeurs. Les individus choisis pour travailler dans cette station expérimentale sont soigneusement recrutés d’après leur profil psychologique atypique, afin de pouvoir résister à un tel isolement durant de longs mois. Lennie Clarke, parmi les premiers éléments enrôlés, va vite se rendre compte qu’ils sont tous névrosés d’une manière ou d’une autre, et qu’il va leur falloir cohabiter coûte que coûte pour survivre dans ces contrées inhospitalières…
Dynamique de groupe
Starfish débute comme un livre d’horreur ou d’angoisse : un lieu dangereux et inexploré dans lequel évoluent des individus psychotiques, laissés en huis-clos dans un espace restreint, entourés par une nature hostile, cernés de tous les côtés par des monstres marins… en quelque sorte un mélange entre Les Dents de la Mer et Shining… à priori. Pourtant, ce récit n’est pas à classer dans ce genre de fiction, et découle d’un projet différent. Dès la première attaque de Lennie et d’une de ses consœurs par un gigantesque poisson vorace, on apprend que ces derniers souffrent d’ostéoporose, compte tenu de la faible teneur en minéraux de l’alimentation locale, et qu’un coup porté dans leur mâchoire suffit à faire tomber en morceaux leurs grandes dents de prédateurs. Pour ce qui est de l’hémoglobine et des membres déchiquetés, il ne faut donc pas trop y compter.
Ces individus retranchés du monde, qui ont commis ou subis des actes de violence et de folie (suicidaire, victime de viol, pédophile, psychotique…), vont développer, dans les grandes profondeurs de l’océan, des aptitudes particulières. Ils ne sont déjà plus tout à fait humains en arrivant à la station Beebe, puisqu’ils sont « modifiés » physiquement : une sorte de branchie artificielle, qu’on leur a implantée à la place d’un de leurs deux poumons, leur permet à loisir d’évoluer dans l’air ou dans l’eau, entre mammifère et poisson. Leurs « calottes oculaires » complètent leur équipement : grâce à ces membranes rétractables, leurs yeux voient sous l’eau et dans cette obscurité presque totale des grands fonds. Mais en plus de ces simples aspects corporels, leurs personnalités et leurs perceptions vont être bousculés, et ils se différencient progressivement des « sécheux », comme ils appellent les habitants de la terre ferme.
Chacun trouve la place qui lui revient dans l’échelle sociale de l’équipe. On en vient presque à avoir de la sympathie pour quelques personnages, même si certains sont franchement détestables. Le poids des profondeurs et leur mode de vie leur modèle peu à peu une nouvelle personnalité, à cheval entre ce qu’ils étaient auparavant et ce qu’ils pourraient devenir. Leurs appréhensions, leur transformation, leur folie, leurs doutes et leurs questionnements sont bien rendus, inévitables effets de cet isolement contre-nature, mais aussi résultat d’une évolution inattendue de leurs capacités. Le confinement vécu par les personnages est un peu similaire à ce que subissent les protagonistes de Solaris de Stanislas Lem (et des deux adaptations cinématographiques d’Andreï Tarkovski et Steven Soderbergh), ou encore ceux du film Sunshine, de Danny Boyle : le vide de l’espace s’apparente au vide des profondeurs marines, qui libère l’inconscient et avive certains ressentis.
Les enjeux en cours dépassent cependant cette simple station géothermique ainsi que la ronde psychologique des personnages, et Lennie Clarke et ses compagnons se retrouvent étroitement mêlés à des événements d’une importance capitale.
Le premier volume d’une trilogie qui s’annonce bien
Ce premier tome de la trilogie correspond aux attentes du lecteur, à savoir le plonger dans une ambiance particulière et l’imprégner de la pesanteur des abysses, tout en posant les fondements et le contexte de l’histoire. À partir du dernier tiers du roman les choses s’accélèrent et d’autres éléments entrent en jeu, d’une portée plus vaste, qui laissent supposer un développement intéressant, dans une perspective qui comprend intelligence artificielle, évolution et survie.
Vivement les deux autres volumes, afin que l’on puisse découvrir les tenants et aboutissants des événements sur lesquels s’arrête cet opus, et le rôle que va jouer Lennie Clarke dans tout ceci. En refermant Starfish, une chose est sûre, vous ne regarderez jamais plus une étoile de mer de la même manière.