Terra !
Stefano Benni est un auteur italien que l’on n’est pas habitué à voir dans les étals de nos librairies spécialisées. Cet homme polyvalent (écrivain, journaliste, acteur…) s’est fait une spécialité de la satire sociale et politique. Son recueil La Dernière larme (Actes Sud, 1996 puis Babel, 2009) en témoigne, collection de petits textes tour à tour drôles et saisissants, qui n’hésitent pas à mettre un pied dans le fantastique ou la science-fiction. Terra ! est quant à lui un pur roman de SF qui creuse à fond cette veine satirique. Paru en 1983 en Italie et une première fois en 1985 en France (chez Julliard), il ressort cette année chez Mnémos.
À la recherche de la nouvelle Terre
La Troisième Guerre mondiale a finalement eu lieu – à cause d’une souris. Comme les hommes ne font jamais rien à la légère, trois autres ont suivi, laissant la Terre ravagée, prisonnière d’un hiver nucléaire qui épuise ses ressources énergétiques. À la moitié du XXIIème siècle, les survivants se sont organisés en trois factions qui contrôlent le monde : la Fédération sino-européenne, dont le siège est basé à Paris ; l’Empire militaire samouraï japonais, qui fait face à une grave crise du logement ; et les cheiks aramérusses, regroupement des puissances arabes, américaines et russes, sous la houlette du Grand Scorpion Akrab, dirigeant ses troupes par la terreur. Chacune des trois puissances tente de surpasser les autres sur le terrain de l’énergie : celle qui met la main sur une réserve d’énergie importante aura vite fait de conquérir le monde. Et l’espace : car les planètes qui parsèment la galaxie sont les seules sources d’espoir d’une Terre à l’agonie. Si plusieurs planètes ou secteurs spatiaux ont déjà été colonisés, aucun ne permet l’élaboration d’une nouvelle Terre.
Du moins jusqu’à ce que le prospecteur Van Cram le Viking renvoie sur Terre une balise indiquant qu’il a trouvé la planète idéale : verte, vierge, une sorte de paradis qui attise les convoîtises. Sauf que ni les appareils de bord de son vaisseau ni les ordinateurs surpuissants de la Terre ne sont capables de localiser ce nouvel Eden. Et bien sûr, Van Cram a disparu… Les trois puissances vont donc se lancer dans une course dans l’espace pour tenter de mettre la main sur ce trésor inespéré. Trésor qui semble être en lien avec une mystérieuse source d’énergie détectée par la Fédération sino-européenne à l’emplacement de l’ancienne civilisation inca. Sur Terre comme dans l’espace se déroule ainsi un combat dont l’enjeu n’est rien moins que la survie de l’humanité.
Un modèle du genre satirique
Les amateurs de Douglas Adams risquent fort de se jeter sur Terra ! : ce roman est tout simplement hilarant. Mais là où l’auteur du Guide galactique jouait à fond la carte du nonsense « contrôlé » (c’est-à-dire gardant une certaine cohérence interne), Stefano Benni joue celle de la farce et de la satire. Terra ! en est un modèle du genre et se moque tour à tour des politiques, présentés comme des bouffons qui se chamaillent pour des broutilles, des hommes d’affaires dont la soif de profit tend au ridicule, de la télévision, des scientifiques imbus d’eux-mêmes, de la religion érigée en machine à manipuler les masses, et même des simples citoyens qui se laissent bien facilement corrompre pour une miette de confort. L’auteur aligne les trouvailles drôles et originales, parfois dans un joyeux bordel, comme la mort par cocacolation, châtiment ultime à l’encontre des souris-soldats désobéissantes de l’empire samouraï.
Derrière le ton caustique, Benni nous livre quelques réflexions bien senties sur le pouvoir, la science et le progrès, la manipulation de l’opinion, l’Histoire et sa réécriture, la cohabitation des cultures. Il critique notamment la tendance des civilisations puissantes à considérer les autres cultures sous le prisme de leur sienne propre, sans prendre en compte le caractère particulier de ce qui leur est étranger. Dans ces cas-là, la satire de Benni se fait amère et frappe d’autant plus le lecteur. L’auteur aborde également le thème du rêve et de l’imagination à travers une multitude d’histoires dans l’histoire, et propose quelques mises en abîme sur le rôle de la littérature, comme grille de lecture du monde pour faire émerger des interprétations pas forcément vraies mais qui s’affranchissent des barrières dont on s’entoure dans notre quotidien.
Amateurs de science fiction rigoureuse, passez votre chemin !
On l’aura compris, Terra ! est une farce qui s’affranchit de toute crédibilité. Les habitués d’une SF rigoureuse, tout au moins cohérente, risquent de ne pas apprécier les libertés que Benni prend avec la science ou même la causalité la plus élémentaire. Approximations scientifiques voire erreurs pures et simples, l’absurde et l’humour priment sur le possible. On aura ainsi droit à du bruit dans l’espace, à des hommes sortants dans le vide sans combinaison, à l’évocation de voyages galactiques alors que les vaisseaux ont à peine l’énergie nécessaire pour aller d’un étoile à l’autre… Autant le savoir et ne pas s’attendre à un roman de hard science !
Au-delà de cet aspect, qui n’est pas à proprement parler une faiblesse puisqu’il est assumé, Terra ! présente quelques défauts inhérents à sa forme, comme des personnages archétypaux, une intrigue alambiquée qui nous laisse un peu suspicieux par moments, et quelques facilités dans l’enchaînement des idées ou la résolution des problèmes. Quelques petites imperfections qui empêchent Terra ! d’être un grand roman. Toutefois, on aurait bien tort de se priver de ce divertissement qui se lit vite, provoque quelques crises de fou-rire bienvenues et titille notre conscience sociale et politique.