Désirs Exaucés

Kerascoët réunit sous le même nom de plume un couple de deux dessinateurs, scénaristes et coloristes français de bande dessinée, Marie Pommepuy et Sébastien Cosset. En tant que dessinateurs, ils ont travaillé entre autres sur Donjon Crépuscule, l’une des séries de l’univers Donjon, l’œuvre évènement de Joann Sfar et Lewis Trondheim, puis sur Jolies Ténèbres et Voyage en Satanie, toutes deux d’après un scénario de Fabien Vehlmann. Ils ont également participé à l’adaptation en dessin animé de la bande dessinée Petit Vampire de Joann Sfar.

Hubert, de son nom complet Hubert Boulard, est un scénariste et coloriste français. Il a notamment écrit les scénarios de La Chair de l’Araignée et Le Legs de l’Alchimiste. En tant que coloriste, il a travaillé sur de nombreuses séries dont plusieurs titres du dessinateur et scénariste Jason, comme Hemingway, J’ai tué Adolf Hitler ou L’île aux Cent mille morts…
Après Miss Pas Touche, Beauté est sa deuxième collaboration en tant que scénariste et coloriste avec le binôme Kerascoët.

Comment la vilaine Morue, en pleurant sur un crapaud, devint une beauté empoisonnée…

Morue est une souillon. Sotte, pauvre et laide, elle dégage en permanence un intense fumet de poisson à force de les écailler toute la journée. Vivant chez sa marraine, qui la traite comme une esclave, elle est traitée par tous avec le plus vil mépris et seule sa mère lui témoigne quelque tendresse.

C’est alors que, pleurant à chaudes larmes sur son sort, elle en verse une sur un vilain crapaud qui lui rappelle son propre destin. Elle délivre ainsi Mab, une fée qu’un sort emprisonnait sous cette forme. Celle-ci ne pouvant accorder à la jeune fille la véritable beauté, elle lui en donne seulement l’apparence. Désormais vue par tous comme la plus belle femme qui soit, Morue croule sous les soupirants et séduit même le seigneur du château d’à côté.

Mais ce don n’est-il pas un cadeau empoisonné ? Et Morue, devenue Beauté, ne va-t-elle pas dorénavant semer le malheur partout sur son passage ?

Une jeune fille et sa bonne fée, bien loin des standards des contes

Dans Désirs Exaucés, Hubert et Kerascoët prennent un malin plaisir à dynamiter les archétypes de la princesse de conte de fées et de sa marraine attitrée.

Morue, leur héroïne n’a en effet rien d’une jolie princesse aux immenses qualités cachées sous la crasse. Mais, bien plus que par son physique défaillant, c’est par son esprit qu’elle s’éloigne des héroïnes traditionnelles des contes. Car la jeune fille est sotte, et surtout très influençable, ce qui donne lieu à des dialogues irrésistibles de drôlerie où elle se laisse convaincre d'avoir des exigences totalement déraisonnables. Elle est si idiote qu’elle ne voit pas le bonheur qui est à portée de main et qu’elle en veut toujours plus, manipulée par les conseils pernicieux de la méchante Mab.

Cette fée à l’influence dévastatrice est un petit bijou de malice, dans l’acception la plus noire du terme. Non contente d’avoir accordé à Morue un « don » qui sème le malheur autour d’elle, elle la pousse à l’avidité, semant ainsi la zizanie dans le royaume. Les péripéties tragi-comiques de Morue en deviennent alors un délice d’humour noir, alignant catastrophe sur catastrophe tandis que la jeune nigaude reste totalement inconsciente de ce qu'elle provoque autour d'elle....

Un conte de fée qui en malmène les codes

Ainsi, contrairement aux usages, la bonne fée est donc ici la méchante de l’histoire, et sa protégée l’instrument par lequel elle va semer les graines de la destruction du royaume.

Mab est une illusionniste qui, en transformant l’image de sa jeune bienfaitrice, pervertit son innocence en guise de récompense. Son cadeau, s’il lui semble un atout, vole à Morue la possibilité de connaître l’amour vrai et la change peu à peu en garce avide de pouvoir et de richesses.
Les héroïnes de contes suivent d’habitude le chemin inverse : si elles sont parfois égoïstes et frivoles au premier abord, les épreuves dévoilent au fil de l’histoire leurs qualités et leur cœur généreux. Mais Morue, aveuglée par sa beauté factice et surtout par sa profonde bêtise, s’engage sur le chemin du vice, et non de la vertu.

Sous les atours enchanteurs d’un conte de fée, Désirs Exaucés en malmène donc les codes pour en détourner le genre, et se révèle très, très loin des bons sentiments, pour le plus grand plaisir du lecteur fatigué de la guimauve habituelle du « Et ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants… ».

Une progression digne d’un jeu de massacre

Car loin de l’emmener vers un happy end convenu, la nouvelle beauté de Morue l’entraîne vers un destin de plus en plus noir. Sa beauté illusoire mais dévastatrice fait tourner la tête de tous les mâles du royaume qui deviennent prêts à tout, quitte à s’entretuer, pour s’attirer ses faveurs. Sans vraiment le vouloir, elle accumule les conquêtes et séduit des hommes de plus en plus puissants, brisant l’harmonie du royaume qu’elle habite. Son ascension sociale est un vrai petit jeu de massacre, drôle et cruel à souhait, où plus Morue s’élève, plus la discorde et la mort s’étendent…
Les princes charmants putatifs, prêts à toutes les âneries pour ravir le cœur de leur « belle », en prennent d’ailleurs bien pour leur grade. La beauté tourne les têtes et ébranle tout l'édifice, entraînant le royaume dans une spirale infernale jusqu’à provoquer l’irréparable…

Si vous aimez les contes cruels mâtinés d'humour noir, n'hésitez pas à vous embarquer dans le sillage sulfureux de notre idiote ensorcelante et de son méchant petit ange gardien !  Ces Désirs Exaucés valent leur pesant d'or...