Les 40 signes de la pluie
Kim Stanley Robinson est un auteur de SF américain, né en 1952 dans l’Illinois, mais habitant la Californie, région du globe à laquelle il donne souvent une grande importance dans ses textes. Toujours très rigoureux scientifiquement – bien qu’il ne soit pas lui-même scientifique-, il allie une force romanesque à la défense de valeurs fortes, comme l’écologie, et à l’analyse du comportement humain et de sa psychologie.
Les 40 signes de la pluie est le premier tome d’une trilogie consacrée aux risques du réchauffement climatique global. Il est suivi de 50° au-dessous de zéro et de 60 jours et après.
Une catastrophe climatique imminente
Anna Quibler travaille à la NSF (National Science Foundation), à Washington, où elle participe au développement de nombreux projets de recherches scientifiques. Son mari, Charlie, est conseiller environnemental pour le sénateur Phil Chase, un des seuls hommes politiques du Congrès qui prête un tant soit peu oreille aux alertes lancées par les scientifiques du monde entier au sujet des dangers du réchauffement climatique. Jeunes parents de deux petits garçons, Nick et Joe, la vie d’Anna et Charlie est rythmée par leur travail très prenant et l’éducation de leurs enfants. Anna va faire une rencontre étonnante avec les ambassadeurs du Khembalung (nation imaginée par l’auteur), qui installent leurs bureaux dans les mêmes locaux que la NSF. Cette nation insulaire des îles Sundarbans, habitée par des moines tibétains en exil, fait partie des zones mondiales les plus inondables. Les Khembalais sont donc très préoccupés par le réchauffement climatique global et la montée des eaux océaniques. Anna et Charlie décident de leur venir en aide pour se faire entendre auprès des instances scientifiques et gouvernementales concernées. Franck Vanderwal, un collaborateur d’Anna à la NSF, originaire de San Diego en Californie, cherche également à mettre en garde les autorités de la gravité du réchauffement climatique. Tous vont unir leur force pour tenter de faire entendre raison au gouvernement et sauver ce qui peut encore l’être de la catastrophe climatique qui s’annonce…
Un avertissement sur ce qui pourrait arriver
Kim Stanley Robinson explore dans cette trilogie les conséquences les plus désastreuses qui pourraient attendre l’espèce humaine si elle ne réagissait pas face au changement climatique à venir. Bien qu’il s’agisse de prospective sur un avenir qui reste aujourd'hui encore incertain et dont on ne peut vraiment prévoir le déroulement, il y consacre semble-t-il – à confirmer avec les deux tomes suivants – la même rigueur scientifique que l’on a pu découvrir avec la trilogie martienne (Mars la Rouge, Mars la Verte et Mars la Bleue) dans la description des effets potentiels du réchauffement.
Kim Stanley Robinson centre ce premier volume sur le questionnement des hommes de sciences, sur leur impact sur la société, leurs doutes au quotidien, et les déceptions qu’ils peuvent régulièrement rencontrer. Le métier de chercheur est présenté comme un véritable sacerdoce : la routine des tests de laboratoires, les trop rares publications, la frustration de ne pas être écoutés par les grands décideurs, leur dépendance à des levées budgétaires improbables, leur remise en question permanente… L’auteur s’attaque également à la lourdeur et lenteur des organismes gouvernementaux et scientifiques, qui ne permettent pas une réactivité adaptée aux circonstances.
Le monde politique et lobbyiste n’est pas épargné, bien au contraire. Charlie se confronte quotidiennement à son hypocrisie et ses tentacules, ce qui le décourage parfois au plus haut point – allant même jusqu’à faire référence à La Nausée de Jean-Paul Sartre : « Une nausée digne de Sartre, provoquée par une soudaine vision de la réalité ; horrible ».
Une intrigue romanesque qui laisse à désirer
Charlie, papa poule qui travaille à distance depuis sa maison ou en trimballant partout Joe avec lui dans son porte-bébé, s’occupe intensément de son fils – au lieu de la traditionnelle mère au foyer -, ce qui témoigne de la modernité de Kim Stanley Robinson, qui ne laisse pas place aux clichés de l’univers masculin. On s’attache à son personnage, mais à lire son quotidien – sorties au parc, biberons etc. – on s’ennuie quelque peu, et il semble dénué de véritable caractère. Anna quant à elle est également trop lisse dans son personnage parfait, ouvert aux autres, toujours prête à aider, passionnée par son métier, mais sans véritables aspérités, formant le couple parfait avec Charlie.
Les chapitres mettant en scène Franck Vanderwal sont les plus intéressants. Plutôt misanthrope d’un premier abord, mais se révélant plus sensible qu’il n’y paraît, pratiquant l’escalade et le surf en communion avec la nature et sa Californie natale, il décrit ses contemporains avec un froid recul scientifique. Fervent adepte de sociobiologie, il observe leur comportement en tant que primates, comme il nous arrive tous de le faire parfois, comme simples spectateurs du monde et non pas acteurs. Ainsi analyse-t-il par exemple leurs réactions dans un ascenseur ou en tant que conducteurs d’automobiles.
Avant d’intégrer la NSF, il a travaillé pour l’Université de San Diego mais également pour Torrey Pines Generique, une start-up de biotechnologies qui est en train de développer un projet inédit et prometteur autour de notre ADN, dont le but est d’identifier les protéines qui pourraient cibler des cellules spécifiques pour leur faire délivrer dix fois plus de HDL, le bon cholestérol, ce qui permettrait de guérir un grand nombre de maladies. Mais si au laboratoire Léo, Marta et Brian sont parvenus à modifier le gène, ils ne parviennent pas à l’insérer dans les cellules du patient. Une autre étude, réalisée par un jeune biomathématicien, Yann Pierzinski, une « analyse mathématique et algorithmique des codons palindromiques en tant que prédicteurs de l'expression génique des protéines », pourrait peut-être les aider dans leur démarche. Si ce projet décrit par Kim Stanley Robinson ne semble pas en rapport avec le sujet principal du roman, il est fort à parier qu’un lien devrait voir le jour dans les tomes suivants.
Enfin, chaque chapitre (on en compte dix), est l’occasion d’un prologue proposant une réflexion scientifique au sens large : le réchauffement climatique et ses différentes origines et conséquences bien sûr (circulation des eaux océaniques, CO2, cultures, catastrophes naturelles…), mais aussi des pensées sur les mathématiques, leur rôle et leur lien avec la biologie, sur notre évolution d’homos sapiens ou encore sur le capitalisme et ses inégalités.
Réquisitoire contre les pouvoirs en place
Les 40 signes de la pluie interpelle le lecteur comme un réquisitoire, une semonce nous prévenant des éventuelles conséquences si rien n’est fait pour enrayer le réchauffement climatique. Egalement pamphlet contre le capitalisme, le libéralisme et le système politique, ce premier volume n’est pas très distrayant, et constitue plutôt un énoncé des problèmes climatiques. L’histoire romanesque n’est donc pas assez prenante avec ce seul titre, mais il ne s’agit que du premier volume de la trilogie, qui installe le contexte et les personnages. Les deux autres romans qui suivent devraient proposer un rythme plus soutenu et une intrigue plus développée. Contrairement à ce que laisse entendre la quatrième de couverture, le lecteur n’est donc pas plongé immédiatement dans les répercussions désastreuses du changement climatique. Les 40 signes de la pluie s’arrête sur les causes du mal, dont les prémices ne surviennent que dans les dernières pages. C’est avec le second volume, 50° au-dessous de zéro, que les catastrophes vont certainement s’enchaîner.