Nuits-Lumière : Mystères en Guillestrois

Fort d’une longue et célèbre bibliographie, Pierre Bordage n’est guère plus à présenter aux lecteurs de SF française : auteur de la fameuse trilogie Les Guerriers du silence, le Vendéen enchaîne les succès littéraires couronnés de prix prestigieux depuis 1992. Avec une trentaine de romans et une soixantaine de nouvelles à son actif, Bordage est réputé pour ses talents de conteur et de faiseur de mondes. Il y sillonne inlassablement les forces et les faiblesses de l’homme, notamment à travers la question du rapport entre religion, spiritualité et technologie. 

 

Avec Nuits-Lumière, l’écrivain nous propose un bref roman de moindre envergure, rédigé à l’occasion du festival FantasticAlpes qui célébrait en 2002 à Guillestre (05) les littératures de l’imaginaire. Il s’agit plus exactement de la novélisation du scénario inventé par Bordage pour un grand jeu de piste dont l’enjeu était de faire découvrir aux participants le patrimoine et la beauté de la région. Pas facile de faire de ce décor alpin le cadre d’une intrigue aux saveurs science-fictionnelles : mais Bordage, qui n’hésite jamais à ancrer ses récits au cœur du territoire français (Les Derniers Hommes (2000), Wang (1998)), ne pouvait que relever le défi.

 

« Pour une amourette qui passait par là, j'ai perdu la tête, et puis me revoilà... »

 

Au cours d’un voyage professionnel dans les Hautes-Alpes, Frank, dont le couple bat de l’aile, tombe sous le charme mystérieux de la belle Doriane aux cheveux blancs. Mais l’idylle qui les unit est de courte durée : du jour au lendemain, la jeune femme disparaît, ne laissant derrière elle qu’une énigme notée sur un bout de papier. Après s’être associé à l’excentrique Arsène Lampard qui prétend la connaître, Frank parcourt la région de long en large pour la retrouver, courant sans le savoir après un mystère vieux de plusieurs siècles… 

 

 

Sans surprise, Bordage parvient avec aisance à jouer du patrimoine guillestrois pour faire jaillir le mystère et donner corps à son intrigue : mis en valeur par des descriptions brèves mais efficaces qui attestent d’une documentation solide, monuments historiques, détails architecturaux et incongruités géologiques locales se succèdent au fil de l’enquête et dressent un portrait fidèle de la ville alpine et de ses environs. En s’appuyant également sur les légendes locales et le grandiose romantique des paysages montagnards, Bordage instille peu à peu dans l’énigme de la disparition de Doriane une dimension presque fantastique et nous mène finalement à un dénouement résolument tourné vers la science-fiction. En faisant de l’hétérogénéité des éléments abordés une force, l’écrivain tisse un récit bien ficelé qui s’achemine rapidement, trop rapidement peut-être, vers sa conclusion : les différentes étapes de la résolution de l’enquête s’enchaînent en effet d’une façon discursive, presque mécanique, mais qui n’est guère surprenante lorsque l’on sait l’intrigue de ce court roman soumise aux contraintes du jeu de piste.

 

Inévitablement, l’histoire souffre de sa brièveté et de son caractère touristique imposés : si le récit remplit parfaitement les exigences que l’on attendait du scénario d’origine et reste divertissant, il n’échappe pas en contrepartie à quelques lourdeurs didactiques et ne peut prendre aucune envergure. On y retrouve quelques-uns des thèmes récurrents de Bordage – l’influence des philosophies orientales, par exemple –, tout comme certains de ses défauts : une romance sans trop de profondeur, ou encore un mysticisme qui empêche le roman de se conclure sur une fin réellement satisfaisante.

 

Sans autre ambition, Nuits-Lumière demeure ainsi le produit du festival FantasticAlpes : une requête adressée à Bordage qu’il a su pleinement satisfaire et avec laquelle il s’est amusé, mais dont il ne pouvait s’émanciper. En se débrouillant admirablement pour associer montagnes alpines et énigme SF, le Vendéen nous fait partager l’expérience de ce petit festival de 2002 : toutefois, le connaisseur pourra se passer de cette lecture qui n’apporte rien de nouveau à l’œuvre de l’écrivain.