Les éditions Griffe d’encre se sont éteintes en mai 2016, mais il subsiste des livres solitaires qui peuvent être encore commandés auprès de leurs auteurs. Aurore Perrault fait partie de ces navigatrices égarées, naufragées de leurs éditions, mais déterminées à poursuivre leur croisière (
www.auteursalouest.com).
Cinéphile, photographe, Aurore, née au bout du monde, est décrite comme une « esclave occasionnelle de la Grifouille », qui publie des novellas au gré du vent et un roman lorsqu’elle se fixe un temps.
Kisasi est sa seconde histoire longue, d’une centaine de pages, sur des thèmes qu’affectionne la nouvelliste : l’Afrique, la magie, les femmes.
Kisasi est autant une fiction entre réalité crue et imaginaire qu’un cri de désespoir et d’espoir sur la situation des femmes africaines au Congo et ailleurs, face à la barbarie masculine.
Magie noire africaine Doc, alias Charles, médecin humanitaire français, consacre sa vie à sauver celle des autres en République Démocratique du Congo. Il accomplit sa mission avec énergie et détermination, mais si tant de femmes, victimes de tortures et de viols, viennent à son dispensaire, en pleine brousse, c’est parce qu’il ne se contente pas d’effacer les traces de leurs sévices sur leur corps, mais qu’il a le don de les effacer de leur esprit.
Ce don surnaturel lui vaut la visite d’une autre magicienne, Aïssata, reine de la brousse nocturne, qui, elle, ne trouve le repos que dans la punition des bourreaux. Elle refuse l’oubli des victimes, car elle a besoin de leur haine et de leur témoignage pour trouver les criminels et les tortionnaires et pour les foudroyer.
Leur alliance va-t-elle sauver ces femmes et ces enfants qui affluent de toutes parts ? Ou seront-ils mis en danger par leur discorde ?
Deux sorciers dans la tourmente africaine Tel le Zeus d’Homère, Charles est le sorcier du pardon. Un pardon chrétien pour enrayer la spirale du mal, un pardon de rédemption. Aïssata, cette Némésis africaine, est la sorcière de la colère et de la vengeance. Le malheur ne s’éteint que quand le mal s’éteint. Et le malheur, c’est précisément le mâle. Le guerrier. Le violeur soumis à ses pulsions, qui se noie dans l’hybris et sème la terreur partout où l’humain existe. Il faut tuer les tueurs.
Cette question, qui divise l’humanité en guerre depuis la nuit des temps, taraude ce récit mi-contemporain, mi-fantastique. Être médecin humanitaire, c’est croire en la capacité de l’homme à rebondir, d’une certaine façon à oublier. Être épris de justice, c’est vouloir que la folie meurtrière s’arrête en punissant les acteurs de l’horreur. Charles et Aïssata se comprennent, mais chacun lutte à sa manière et désavoue l’autre. Charles est pris dans son quotidien : le manque de médicaments, les soins incessants, les files d’attente, la survie du dispensaire en temps de guerre. Aïssata ne vit que dans son projet de vengeance, jouant de ses pouvoirs et de sa parfaite connaissance du monde sauvage. Les femmes sont attirées par chacun de ces magiciens. Mais quand Aïssata se réfugie au dispensaire et que les deux réponses antagonistes au malheur des innocentes s’entremêlent, le résultat est explosif.
Aurore Perrault s’inspire d’une réalité sordide et cruelle, celle que Susanne Babila révèle dans son reportage sur « Le viol, une arme de guerre au Congo » (2011). Violence quotidienne et terrible que les rapports de Human Rights Watch, Amnesty International, Médecins Sans Frontières ne cessent de dénoncer. De cette réalité sombre et insupportable, elle extirpe des lueurs dans la nuit, celles des médecins qui se battent sur place pour redonner du sens à la vie et celles des femmes qui se battent contre le pire, « celles qui aiguisent leurs machettes, arment leurs fusils et se jettent dans la bataille pour réclamer la vengeance. »
Le récit est abordé du point de vue de Charles, l’humanitaire expérimenté et désabusé, qui rejette et qui admire cette sorcière qui fait irruption dans sa vie. Dès lors, la relation à cette femme transcende son quotidien et ce dipôle magique transforme la vie en flirtant dangereusement avec la mort.