Série TV
Photo de Locke & Key

Locke & Key

Date de parution : 07/02/20  -  Série TV
Commenter
Nikita   - le 18/02/2020

Locke & Key (série)

L'horreur : une industrie familiale ?

Locke and Key, à l'origine, c'est une série de comics de fantastique/horreur publiée chez IDW en version originale et en version française chez Milady graphics puis Hi comics. Elle est dessinée par Gabriel Rodriguez, qui a aussi signé entre autres Little Nemo : return to slumberland. Quant au scénario, on y retrouve Joe Hill, qui n'est autre que le fils de Stephen King. Auteur de quelques romans d'horreur, dont plusieurs ont été primés (prix Locus, Masterton, Bram-Stoker, …), il rafle grâce à Locke and Key l'Eisner Award - distinction qui récompense des bandes dessinées/romans graphiques, un peu comme notre festival d'Angoulême - du meilleur scénario.

Pas étonnant que cette matière première géniale ait très tôt attiré les convoitises en termes d'adaptation cinématographique ou télévisée... La Fox avait notamment acheté les droits et tourné un pilote en 2010-11, puis Hulu en 2017-18, jusqu'à Netflix aujourd'hui. Et afin de mettre toutes les chances de son côté, Netflix a fait appel à Joe Hill lui-même pour collaborer au scénario, ainsi qu'à Carlton Cuse (Lost, Bates Motel) comme showrunner. Autant dire qu'à l'instar de The Witcher par exemple, le résultat était attendu ! Mais Locke and Key , c'est un univers sombre et complexe qu'il n'est pas si facile de porter à l'écran, petit ou grand...



Bienvenue à Lovecraft/Matheson

La série suit la famille Locke, dont le père, Rendell, vient d'être brutalement assassiné sous les yeux de sa femme, Nina, et leurs trois enfants Bode, Kinsey et Tyler. Pour changer d'air et tenter de se remettre du traumatisme, ils déménagent alors dans le Massachusetts, au manoir de Keyhouse, l'ancienne demeure familiale des Locke. Alors qu'ils s'adaptent peu à peu, commencent à faire leur deuil mais aussi de nouvelles rencontres, les enfants Locke, Bode (le plus jeune) en tête, tombent sur de mystérieuses clés qui semblent renfermer d'étranges pouvoirs, des plus merveilleux aux plus dangereux. Et sans le vouloir, Bode enclenche la mécanique qui libère Dodge, un « écho », sorte de fantôme démoniaque piégé dans le vieux puits du manoir, qui cherche à mettre la main sur toutes les clés, surtout la mystérieuse clé Omega...

Casse-tête

Je ne cache pas que j'ai lu et adoré les comics il y a déjà de ça quelques années (je suis donc forcément un peu biaisée dans ma vision de la série et je serais curieuse d'avoir l'avis de spectateurs qui ne connaissaient pas du tout, d'ailleurs), et que je suis assez déçue de cette saison 1 en tant qu'adaptation. L'univers des comics est tellement riche, complexe, imaginatif et intelligent, que j'avais de grands espoirs et donc de hautes attentes concernant la série, surtout quand on considère que Joe Hill a collaboré au scénario. Au final, exit la dimension sombre et torturée de l’œuvre et donc son côté mature et adulte, Netflix en livre une version bien plus lisse, édulcorée, et visiblement plutôt adressée aux (grands) ados qu'à leurs aînés.

Vu le succès de « Stranger Things », on ne peut pas vraiment leur jeter la pierre, si on y réfléchit, c'est assez malin de leur part d'essayer de toucher un public similaire. Le problème à mon sens, c'est que les portions de l'intrigue purement « vie quotidienne au lycée » sont assez mal gérées, manquent d'originalité, traînent parfois en longueur, avec des personnages pas toujours très bien développés ni très crédibles, alors qu'à côté de ça on regrette de ne pas avoir plus d'informations sur le background magique de Keyhouse. Certains éléments surnaturels sont introduits et à peine exploités - même s'il se pourrait qu'ils reviennent en saison 2 - alors qu'à côté de ça la place allouée aux sous-intrigues adolescentes – parfois d'une triste banalité -, les amitiés, les mauvaises influences, les triangles amoureux, etc. peut faire un peu grincer des dents...

La clé du succès ?

C'est d'autant plus dommage qu'on sent pourtant du potentiel dans cette première saison, dans les méandres inexplorés de Keyhouse : il faut reconnaître que les décors sont très réussis et puis mention spéciale à la bande son ! Ça crée une atmosphère bien particulière assez captivante lors des scènes de découverte des clés et de leurs pouvoirs, par exemple, qui peuvent tour à tour installer des ambiances féeriques très joliment mises en scène comme des moments plus inquiétants voire un poil angoissants. Si on y réfléchit deux secondes, on se dit quand même que c'est loin d'être un univers facile à adapter en termes de réalisation et d'effets spéciaux. La façon dont la série a choisi de scénographier l'utilisation de la clé de tête, par exemple (à savoir comme donnant accès à l'intérieur de la psyché de quelqu'un, via une porte, aux autres personnes physiquement présentes dans la pièce ainsi qu'à une version spectrale de ce quelqu'un – là où dans le comics c'était littéralement la tête du personnage dont on retirait la partie supérieure pour laisser entrevoir son univers intérieur), est plutôt ingénieuse, immersive et efficace.

Il faut aussi saluer le casting des trois enfants Locke que j'ai trouvés vraiment convaincants. Et dès lors que l'action se recentre autour du manoir, les dynamiques entre les personnages se font elles aussi plus intéressantes, entre la façon dont chacun des membres de la famille tente de surmonter son deuil, Kinsey qui lutte avec sa peur et sa culpabilité, Nina qui se débat pour rester sobre, Tyler qui ressent peser sur ses épaules d'aîné le poids de l'absence de son père... Non, vraiment, je crois qu'il y a tout un tas de bons ingrédients dans « Locke et Key » si on oublie un instant l’œuvre de base, qu'on prend un peu de recul et qu'on accepte de la considérer en tant que série fantastique ado/young adult, à rapprocher de Stranger Things ou des Nouvelles Aventures de Sabrina, par exemple. Le problème, je l'évoquais plus haut, c'est le dosage et le rythme. Parce qu'il y a même aussi des passages que j'ai trouvés relativement réussis dans ce côté « teen series » - comme celui de la boîte à musique - mais l'ensemble fait un peu trop forcé : on est continuellement coupé dans notre élan quand on commence à en apprendre un peu plus sur les clés, sur Dodge, sur le passé de la famille Locke, pour retomber dans des segments de narration beaucoup plus fades, parfois même plats. Alors oui, il y a aussi des moments où le suspense est bien distillé et nous tient tout à fait en haleine. Mais dans l'ensemble je trouve que le rythme insufflé au déroulement de la trame principale souffre parfois de découpages bizarres, avec des révélations, des cliffhangers et des climaxs qui tombent à des instants pas forcément toujours très bien choisis.

Un essai louable mais pas tout à fait transformé

Bref, les fans hardcore du comics risquent d'être déçus...
Pour les autres, qui sauront détacher l’œuvre de son adaptation, ou ceux qui ne connaissent pas encore cet univers, ça reste un bon divertissement – soyons honnêtes, j'ai quand même regardé les 10 épisodes en 2-3 soirées seulement, c'est donc que ça fonctionne, même s'il y a là derrière un petit côté « guilty pleasure » assumé – , ainsi qu'une porte d'entrée intéressante dans le monde des Locke, voire même une tentative louable, quoique l'essai ne soit pas tout à fait transformé, de l'ouvrir à un autre public. Si je ne peux pas tout à fait écarter le sentiment qu'il est vraiment dommage que tout le potentiel que recelait ce matériau n'ait pas été exploité à sa juste valeur, tout n'est néanmoins pas à jeter dans cette version un peu maladroite mais qui fait mouche de Locke and Key, et je serai tout de même au rendez-vous pour voir ce que nous réserve la saison 2 !

Partager cet article

Vous pourriez intéressés par

Qu'en pensez-vous ?