Cette « novelette » d’une quarantaine de pages se lit vite et se digère longtemps. L’économie de mots ne pèse pas sur l’instauration d’une atmosphère particulière et pour cause : le monde que nous présente Kate Whilhelm pendant la majeure partie du texte est un monde silencieux.
« Pas d’oiseaux. Pas d’insectes. Pas de poissons. Et partout, le silence. »
Jan et Lorin forment un couple de scientifiques. L’expédition dont ils font partie cartographie les époques en recherche de matières premières. Le voyage temporel est ainsi utilisé pour soutenir une consommation éternelle.
À l’époque où ils ont atterri, le monde est une forêt dépeuplée, et les voyageurs sont saisis d’effroi par ce règne vert.
« Tout le malheur des hommes vient de ne savoir pas demeurer en repos, dans une chambre », écrit Blaise Pascal. Ici, la chambre sans distraction s’étend sur des centaines de kilomètres angoissants.
« Je n’arrête pas de tendre l’oreille pour essayer d’entendre quelque chose, n’importe quoi. »
La seule exception est Lorin, le biologiste désoeuvré, qui finit par embarquer Jan contre son gré toujours plus loin parmi les arbres, dans une hypnotique quête d’utopie.
Et peu importe si, sans eux, à cause des lois de conservation de masse, leurs autres compagnons ne pourront pas non plus repartir. N’est-ce pas après tout que leur rendre service de les forcer à s’intégrer à un monde hors du bruit et du béton de la civilisation ?
(Spoiler) Dans la deuxième partie du texte, Lorin se réveille. Le voyage était un test psychologique. Avec la même économie de mots, le récit se mue en une dystopie glaçante, bruyante, déconcertante, qui fait écho aux luttes de son époque contre l’institution psychiatrique aliénante et sa production d’anormalité.
Un récit sensible qui réussit à dépeindre aussi bien l’immobilité vivante du végétal que la frénésie incompréhensible d’une société dont les clés de compréhension sont si faciles à perdre.
Demain le silence est accompagné d’une postface qui recontextualise le texte paru en 1970, notamment l’influence du livre Printemps silencieux de Rachel Carson (1962), essai consacré à l’usage des produits biochimiques dans l’agriculture qui détruisent les insectes et animaux des champs ; toute la mouvance du retour à la terre des années 1960 ; mais aussi les luttes anti-psychiatrie.
Des thèmes liés : dès ses débuts, la psychiatrie a été un outil de contrôle social et de répression politique, des féministes anglaises hystériques aux dissidents russes schizophrènes.
Écologie ou anti-psychiatrie, il s’agit de changer de paradigme social et de jeter un regard critique sur la construction de la normalité.