Livre
Photo de Kallocaïne

Kallocaïne

Melchior Ascaride (Illustrateur de couverture), Léo Dhayer (Traducteur), Karin Boye (Auteur)
Aux éditions :   -  Collection : 
Date de parution : 15/03/23  -  Livre
Commenter

La page du roman : https://www.moutons-electriques.fr/kallocaine-vertiges

MarieDemay   - le 11/06/2023

Kallocaïne : la première dystopie dans une nouvelle éditions chez Les Moutons Electriques

"La mère des grandes dystopies" est de retour dans nos librairies dans une nouvelle édition des Moutons Électriques. Forts de relancer la science-fiction et de vous faire (re)découvrir des classiques qui ont façonné ce genre de l'imaginaire, la maison d'édition créer la collection Bibliothèque des Vertiges.

Genre majeur des littératures de l'imaginaire, la science-fiction est depuis plus d'un siècle et demi le grand pourvoyeur des vertiges métaphysiques, des doutes sur le réel et des spéculations sur l'avenir. Projetant le présent dans des fictions hypothétiques, la science-fiction interroge, bouscule et fascine, sans jamais cesser de divertir.

Dans cette collection, vous retrouverez huit titres aux couvertures psychédéliques enchanteresses, dont le grand Kallocaïne de Karin Boye, traduit du suédois par Léo Dhayer. Publié pour la première fois en 1940, ce texte pourrait pourtant avoir été écrit hier tant la plume et le sujet développé par l'autrice résonnent encore avec l'actualité :

Dans une société où la surveillance de tous, sous l’œil vigilant de la police, est l’affaire de chacun, le chimiste Léo Kall met au point un sérum de vérité qui offre à l’État Mondial l’outil de contrôle total qui lui manquait. En privant l’individu de son dernier jardin secret, la Kallocaïne permet de débusquer les rêves de liberté que continuent d’entretenir de rares citoyens. Elle permettra également à son inventeur de surmonter, au prix d’un viol psychique, une crise personnelle qui lui fera remettre en cause nombre de ses certitudes. Et si la mystérieuse cité fondée sur la confiance à laquelle aspirent les derniers résistants n’était pas qu’un rêve ?

L'exemple type de la dystopie

Cela ne vous échappera pas dès les premiers paragraphes : ce texte reprend parfaitement les codes de la dystopie telle qu'on la connaît chez Orwell ou Huxley. Reprend ? Non pas exactement : elle les créer plutôt. En effet, Kallocaïne, bien que moins connu que les textes mentionnés dans cette chronique, sûrement car l'autrice est une femme, moins visible à l'époque, et que le texte original est écrit en suédois et donc moins accessible à une grande audience, a été écrit avant le grand 1984 par exemple.

Cette remarque n'est pas là pour dire que les auteurs fondateurs de la dystopie s'élevant contre le totalitarisme dès les années 1950 ont "triché" sur Karin Boye, mais pour prouver la conjonction des réflexions de cette époque en marge de la Seconde Guerre mondiale. En Suède comme en Angleterre, en France ou aux États-Unis, les auteurs et autrices poussent leurs textes à l'extrême pour dénoncer une idéologie dangereuse et prête à tomber elle-même dans l'extrême.

"Nul ne pourra donc empêcher l'énorme char blindé du Pouvoir de choir dans le vide ?"

Dans Kallocaïne, les éléments principaux de la dystopie s'assemblent pour créer une société d'abord perçue comme parfaite avant de s'effondrer : le conformisme et l'abolition des classes sociales (en théorie), l'entraînement militaire et le patriotisme, l'ordre et la culpabilité, et surtout, un homme dont l'esprit s'ouvre peu à peu aux déséquilibres de son monde.

La santé mentale comme catalyseur

Léo Kall, personnage principal de Kallocaïne, est un membre moteur de la société totalitariste (du moins pour notre œil du XXIe siècle) dans laquelle il évolue. Il se plie sans problème à la surveillance oppressante organisée par le gouvernement sous la forme d'agent qui entre physiquement dans chaque foyer pour s'asseoir avec les membres de la famille en silence et observer. Il encense le système militaire mis en place qui oblige chacun à des entraînements quotidiens dès l'âge de sept ans. Et pire encore, il travaille sur une nouvelle drogue qui agit comme un sérum de vérité destiné à resserrer encore plus l'emprise de la société sur ses habitants.

"Les paroles et les actions naissent des sentiments et des pensées. Comment les individus pourraient-ils encore les garder pour eux ? Chaque camarade-soldat n'est-il pas propriété de l'État ?"

Jusqu'à ce qu'au moment où il se rend compte de ses propres faiblesses. Son fils, même pas encore adolescent, est envoyé à l'école militaire, comme tous les autres enfants, et ne revient que quelques heures par semaine. Léo finit par s'avouer à lui-même que cela le pèse. Déstabilisé par ses sentiments, l'intrigue le fera se rendre compte qu'il n'est pas le seul à avoir peur, à ressentir l'amour, la haine, la joie et toutes ces émotions normalement contrôlées dont la culpabilité qu'il n'est pas censé éprouver selon les enseignements qu'il a reçus :

"(...) chaque camarade-soldat était-il condamné à se sentir coupable ?"

Aujourd'hui, n'importe qui mettrait tout de suite des mots sur son état : dépression, perte de confiance, doute, replis sur soi et recherche d'un but... Tous ces questionnements relèvent de la santé mentale, de l'envie profonde d'apparaître "normal" et d'effacer son individualité comme un défaut, une erreur à corriger. Avant que cette individualité de remonte d'un coup et n'explose comme une bombe, la bombe de la nature humaine.

La manipulation de masse vue de l'intérieur

Tandis que Léo s'éveille, le lecteur passe d'une vision extérieure de l'État Mondiale tel que le vit le personnage au quotidien, à sa réalité intérieure, dans les tréfonds du gouvernement où les choses se décident. Grâce à sa découverte du sérum de vérité qu'il appellera Kallocaïne, Léo se retrouve vite impliquer dans des problèmes bien plus politiques qu'il ne l'aurait voulu. Cherchant simplement à faire avancer son gouvernement du mieux qu'il peut, il finit à une réunion entre différents membres de l'état qui se demande comment faire évoluer les films de propagande.

"La civilisation c'est l'État !"

D'abord outré puis tour à tour fasciné et dégouté, Léo comprend les mécanismes de l'état et se rend compte que chaque membre de sa société idyllique n'est qu'un numéro, un individu à convaincre ou à éliminer. Ce passage sur la propagande est d'autant plus vertigineux qu'il nous est familier puisque le gouvernement de l'État Mondial ne fait rien d'autre que d'utiliser des mécanismes publicitaires que nous avons sous les yeux tous les jours.

Un récit universel

En conclusion, on ne peut que recommander à tout amateur de SF et de dystopie qui se respecte de découvrir et redécouvrir Kallocaïne. Difficile bien sûr de ne pas être biaisés par nos connaissances de 1984 ou autres textes plus récents qui sont emblématiques de ce genre, pourtant Kallocaïne reste un texte singulier et frappant qui arrive à mettre encore plus l'accent sur le ressenti individuel d'un personnage et la nature universelle de ce qu'il traverse alors qu'il se sentait si seul, si "anormal".

"Crois-tu que d'autres ont déjà vécu cela ? Peut-être parmi tes sujets d'expérience? Je dois les trouver..."

Un roman à retrouver dans la collection Bibliothèque des Vertiges chez Les Moutons Electriques.

Genres / Mots-clés

Partager cet article

Qu'en pensez-vous ?