1 : Un problème ? Quel problème ?
Demandée par le ministère de la Culture (dans le cadre de la réforme globale des aides du CNL), cette mesure a été proposée aux acteurs du monde du livre par Vincent Monadé lui-même, le président du Centre National du livre. Il y voit une "mesure de justice" puisque d'autres secteurs culturels rémunèrent les artistes et également un moyen de pallier partiellement la baisse de la rémunération des auteurs en France. Reste les modalités de son application. Elles sont discutées depuis plusieurs mois dans des tables rondes réunissant des représentants du ministère de la Culture et de l'association des maires de France, des agences régionales pour le livre, des bibliothèques départementales de prêt, des auteurs, des syndicats, des représentants des festivals et de la Charte des illustrateurs et auteurs jeunesse…
S'il faut "attendre fin octobre pour connaître les conclusions et les préconisations des groupes de travail", Vincent Monadé donne les premiers éléments qui émergent : cette rémunération concernerait les interventions des auteurs face au public, mais pas les dédicaces, et seulement les auteurs français même s'il "voit mal un festival rémunérer les auteurs français et pas les autres".
Le montant serait indexé sur celui de la charte des illustrateurs et auteurs jeunesse qui depuis 1975 donne le La des rémunérations des auteurs lors de leurs interventions en salon ou ailleurs avec des systèmes de journées et de demi-journées.
Si certains festivals y arrivent, pourquoi les autres ne pourraient-ils par rémunérer les auteurs ?
Pour les festivals, c'est évidemment un coût supplémentaire. Vincent Monadé indique que "des mesures sont envisageables au cas par cas" même si le budget du CNL ne va pas augmenter pour financer cette décision. Lui ne craint pas de conséquences sur la programmation des manifestations littéraire et notamment sur une possible baisse du nombre des invitations pour ne prendre que les auteurs les plus connus : "Je ne crois pas que les festivals s'appuieront sur ces auteurs "bankables" car, d'une part, les auteurs en question ne pourront pas faire tous les festivals qui les solliciteront, et d'autre part, réduire à une quinzaine de noms la liste des auteurs régulièrement invités serait préjudiciables à court terme pour les festivals".
Il rappelle d'ailleurs que : "Cette mesure n'a cependant pas de caractère obligatoire. Elle n'intervient que si l'on veut prétendre à une aide du CNL". Voilà les organisateurs prévenus. Il conclut en disant que les "festivals jeunesse et "certains de bandes-dessinées rémunérèrent déjà les auteurs qui interviennent", et qu'il ne voit pas "pourquoi les autres n'y arriveraient pas" et que "les festivals jeunesse ne sont pas les moins dynamiques, loin de là".
Un problème ? Quel problème?
2 - Du côté des festivals : Oui, mais...
Les deux organisateurs que nous avons interrogés ne sont pas du tout contre cette mesure. Georges Foveau qui s'occupe du Salon de l'Imaginaire de Lambesc a, à peu près, les mêmes termes que Vincent Monadé en déclarant que "cette décision n'est que justice". Pour lui "les subventions sont de l'argent public qui doit être dépensé au mieux de l'intérêt de tous. Tout travail mérite salaire. Il est donc normal que les auteurs soient payés pour leurs interventions qu'elles soient scolaires ou sur les salons".
Son festival, qui ne dépend pas du CNL, rémunère déjà les auteurs qu'il invite. Il ne devrait donc pas être impacté par cette mesure. Financièrement, il s'appuie sur la Communauté de communes du Pays d'Aix (en Provence) pour boucler son budget et payer les écrivains sur la base de la charte jeunesse. C'est en partie le modèle prôné par Vincent Monadé qui promet d'écrire aux collectivités publiques pour les inciter à mettre la main à la poche pour compenser l'impact financière de la mesure. Cela fonctionne donc pour Lambesc. Mais il est vrai également que ce festival très convivial n'invite que peu d'auteurs comme l'explique Georges Foveau : "Nous préférons recevoir peu d'auteurs et les mettre vraiment en valeur. Pas plus d'une dizaine d'auteurs à chaque édition, donc. Mais avec un vrai choix motivé."
« Le financement privé ne peut être une solution à tous les problèmes économiques »
Du côté de Stéphane Wieser qui s'occupe des Imaginales, l'avis est plus mitigé. Son festival accueille plusieurs dizaines d'auteurs chaque année à Épinal venus de France mais aussi du monde entier et touche des subventions du CNL.
Si pour lui "le chantier de réflexion sur le droit d’auteur, les modes de rémunérations et les droits sociaux qui y sont associés est pleinement légitime", il souhaite attirer l'attention sur les spécificité de chaque festival, le sien ayant fait le choix par exemple d'être gratuit pour les visiteurs et d'avoir pas moins de trois lieux proposant des conférences en simultanées toute la journée pendant quatre jours.
La question du coût de la rémunération des auteurs est donc cruciale pour lui car elle représente une grosse enveloppe à trouver. À l'absence d'accompagnement financier supplémentaire du CNL, il répond que "le financement privé ne peut être une solution à tous les problèmes économiques" et il craint que de jeunes festivals encore fragile ne soit mis en difficulté par cette réforme.
Stéphane Wieser se demande également si cette mesure ne va pas augmenter la fracture entre les auteurs "bankables", qui seront invités car attirants pour les festivals – et donc rémunérés, et ceux qui le sont moins. Un autre risque de fracture serait à envisager : celle entre des festivals qui sont subventionnés par le CNL et qui devront payés les auteurs, et ceux qui ne le sont pas.
Beaucoup d'interrogations donc, qui ne sont pas encore tranchées. L'organisation d'une table ronde sur le sujet lors de la dernière édition des Imaginales n'est sans doute pas étrangère à cette réflexion.
3 – Le Syndicat des écrivains de langue française pas tout à fait convaincu...
Le Syndicat des écrivains de langue française (Le SELF) n'a pas été associé aux travaux en cours dans la commission du CNL. Interrogé à ce sujet, l'un de ses deux présidents, Christian Vilà, estime que "les revendications portées à ce sujet par M. Vincent Monadé restent pour l’heure entourées d’un certain "flou artistique". Pour lui les champs d'applications de la mesure ne sont pas encore très clairs. Il s'inquiète surtout des conséquences sur les auteurs qui n'ont encore qu'une faible notoriété "dans un tel système, il est évident qu’un inconnu à qui ce serait pourtant fort utile, a peu de chances d’être aussi bien payé qu’une star à qui ses droits d’auteur suffisent largement à faire bouillir la marmite", d'autant qu'il rappelle que la situation des auteurs est particulièrement difficile : "les auteurs moyens, on va dire, qui autrefois arrivaient bon an mal à survivre grâce à l’écriture et à des revenus annexes (ateliers, animations scolaires, autres activités créatives) et autres petits jobs dans l’édition, mais qui sont les premiers impactés par les méventes. Pour ceux-là, les à valoir ont tendance à fondre comme neige au soleil – quand ils existent encore. Or, jusqu’en 2009 – 2010, ces auteurs tiraient l’essentiel de leurs revenus de ces "avances sur recettes", qui leur permettaient notamment de maintenir leur affiliation à l’Agessa."
Il les appelle d'ailleurs à se mobiliser, "parce qu’être auteur, c’est avant tout un travail. Et qui à ce titre doit être payé en fonction du temps mis à le réaliser."
Il n'est donc pas tout à fait convaincu par la mesure, comme d'ailleurs les quelques auteurs que nous avons interrogé.
- 4... et les auteurs non plus...
On aurait pu les attendre enthousiastes à l'idée de recevoir un revenu supplémentaire sur les salons auxquels ils participent. Ils sont un peu plus mitigés.
Charlotte Bousquet insiste en premier lieu sur la diversité des manifestations. "Je suis extrêmement partagée sur ce point. Certains salons, comme Un aller-retour dans le Noir, ou le salon du livre jeunesse de Cherbourg-Octeville, rémunèrent en effet les auteurs pour les journées de dédicace et c’est génial, d’autres comme Saint-Maur en poche ou Nancy ne le font pas. Mais les uns dépendent d’associations, les autres, de la ville ou de la région. Les uns n’invitent qu’un petit nombre d’auteurs, les autres – comme les Imaginales – 130 si je ne me trompe pas, cette année. Certains salons fonctionnent avec des stands éditeurs, d’autres des libraires. (…) Certains festivals ou salons ne rémunèrent pas les auteurs, mais organisent des rencontres en amont avec les scolaires.". Pour elle "La question est bien plus complexe, à mon sens, que « pour ou contre ». Il aurait été bien plus judicieux de faire une recommandation, et de voir au cas par cas."
De son côté, David S.Khara a lui aussi des inquiétudes sur la programmation des salons. "Sur la forme, le risque premier qui me vient à l’esprit tient en ce que les organisateurs se concentreront au maximum sur les têtes d’affiches susceptibles de drainer un large public, au risque de délaisser les auteurs "plus modestes", j’emploie les guillemets à dessein. On court ainsi le risque de creuser encore un peu plus un fossé déjà considérable et de fermer la porte à de très nombreux auteurs". Il pointe également un manque d'information puisqu'il n'était avant notre interview par au courant de ce dossier.
Une question vraiment prioritaire pour les auteurs ?
Et puis, la question n'est pas celle qui les préoccupe le plus. Charlotte Bousquet estime qu'il y a d'autres combats à mener "dans une période où les budgets se voient réduits comme peau de chagrin, et où les auteurs et illustrateurs sont de plus en plus fragiles (notamment, avec les retraites)". Fabien Clavel pense lui aussi que les chantiers les plus urgents comme la protection de auteurs, leurs contrats, ou encore le dossier Relire et de ses abus.
Nos trois auteurs trouvent des vertus aux salons. Pour Fabien Clavel, c'est un moyen de rester en contact avec les lecteurs, pour Charlotte Bousquet, une rémunération complémentaire à son métier d'autrice via les ateliers et pour David S. Khara, c'est également un moyen d'intervenir auprès des "libraires qui ont besoin d’être soutenus par les auteurs pour faire face à la concurrence de la vente en ligne". Il pointe aussi les échanges et les rencontres avec les professionnels dans les manifestations et l'impact que cela peut avoir sur la carrière d'un auteur.
Mais tous s'accordent sur l'aspect chronophage. Fabien Clavel souligne : "C’est une place ambiguë car le temps passé à un festival est du temps passé à ne pas écrire" et il n'est pas sûr que cela lui permette de vendre plus de livres, ce qui fait dire à David S.Khara qu'il ne trouve pas "anormal qu’une rémunération soit accordée dans la mesure où la participation aux salons peut-être chronophage et qu’il est très compliqué d’écrire, donc de produire pour employer un terme peu poétique. Je ne puis parler que de mon cas, mais il m’est absolument impossible de travailler dans le contexte d’un déplacement à un salon."
Pas d'opposition donc mais des questions sur le champ d'application.
C'est d'ailleurs ce que l'on retiendra de ce dossier dont on entend beaucoup parler dans le monde des manifestations littéraires. Nos interviewés ne sont pas défavorables à cette mesure de "justice" souhaitée par Vincent Monadé mais ils se posent beaucoup de questions autour des conséquences qu'elle risque d'entraîner si elle n'est compensée par des financements supplémentaires, ce qui à priori ne sera pas le cas. Elle est aussi révélatrice des difficultés actuelles du secteur de l'édition, la baisse générale des ventes entraînant une fragilisation des revenus des auteurs et beaucoup d'inquiétudes. Le débat est loin d'être terminé.
Les interviews et la table ronde :
L'interview de Vincent Monadé, Président du CNL
L'interview de Stéphane Wieser, Directeur des Imaginales d'Épinal
L'interview de Georges Foveau, auteur et responsable du festival de l'Imaginaire du Pays d'Aix pour la CPA, à Lambesc
L'interview de Christian Vilà, coprésident du SELF
La table ronde sur la rémunération des auteurs en festival aux Imaginales 2015