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Dossier Bit-Lit : La Bit Lit n'a pas que des amis...
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Dossier Bit-Lit : La Bit Lit n'a pas que des amis...

Si l'explosion de la bit-lit (nommée aussi urban fantasy) ne fait aucun doute en terme commercial sur ces derniers mois, son arrivée dans les rayons des librairies et plus particulièrement dans les rayons de l'Imaginaire n'est pas sans poser quelques questions. 

L'impact de la bit-lit sur les ventes de la science fiction et de la fantasy 
 
La première c'est celle de ses conséquences sur la science fiction et la fantasy ? Le phénomène vampires et consorts nuit-il aux autres genres de l'Imaginaire en étant dans le même rayon ? Difficile à dire. Si l'on se réfère aux libraires que nous avions interrogés en juin dernier (cf le dossier), science fiction et fantasy ne sont pas logées à la même enseigne. Les ventes en SF semblent stables à l'heure actuelle tandis que celles de la fantasy s'érodent. Certains libraires voient un lien direct de cause à effet, la hausse des ventes en bit-lit provoquant la baisse de celles de la fantasy selon eux. Cela reste bien entendu à confirmer avec des chiffres et des études plus poussées.
 
Il n'en reste pas moins que le règne de l'Urban Fantasy a bel et bien commencé. Le phénomène Bit Lit « a triplé son emprise sur le rayon SFFF en l’espace d’une année  » selon Olivier Legendre de la librairie Sauramps à Montpellier. Certains de ses collègues avaient même précisé qu'ils en vendaient désormais plus que de fantasy et de science fiction.
 
L'une des conséquences les plus visibles, c'est le changement de l'aspect visuel des rayons spécialisés. Après les guerriers musclés et les dragons de la fantasy, place maintenant aux héroïnes armées jusqu'aux dents et aux vampires romantiques. La bit-lit a amené ses propres codes sur ses couvertures ce qui fait dire à Olivier Girard qui dirige les éditions du Bélial dans une récente interview : "Les livres du Bélial’ sont présentés en rayon littérature de genre, type « SF/fantasy », là où il n’y a plus que des mecs torse nu aux dents pointues sur les couvertures ou des pin-up tatouées gainées de cuir — présenter une nouveauté de Greg Egan, Lucius Shepard ou Stephen Baxter à côté de ça, franchement, ça me fait étrange… "
 
Cela pourrait prêter à sourire s'il n'ajoutait quelques lignes plus loin : "Le fait qu’aujourd’hui, lorsque vous regardez une table de nouveautés dans rayon de littérature de genre, vous avez l’impression de voir les murs de la chambre d’une minette de 15 ans, pose un vrai problème. Résultat : nombre de bouquins de genre, parmi les plus intéressants, paraissent hors des rayons spécialisés." Sous entendu, les amateurs notamment de science fiction doivent désormais visiter aussi d'autres rayons pour trouver de quoi les satisfaire. Une hypothèse alimentée notamment par les expériences de Gilles Dumay qui a récemment publié des livres de genre en dehors de sa collection spécialisée Lunes d'Encre ou de certains romans comme Brut de Dalibor Frioux paru à la rentrée aux éditions du Seuil dans une collection généraliste.
Bénédicte Lombardo expliquait dans une interview à ce sujet : "sans étiquette, le goût est meilleur peut-être ? Pourquoi pas mais il faut alors travailler différemment et quand on est éditeur de genre, c’est loin d’être simple."

Reste à savoir si le phénomène s'amplifie véritablement. Il y a toujours eu des romans de science fiction publiés en dehors des collections spécialisées. Mais en l'absence d'outils statistiques, il est bien compliqué de dire si c'est un phénomène en hausse et si c'est la conséquence directe de l'arrivée de la bit-lit. L'explosion de la fantasy sur la dernière décennie a également provoqué les mêmes changement visuels et les mêmes questions.

Un rayon, plusieurs genres, plusieurs publics.

Une chose semble néanmoins acquise. Le sentiment général dresse le portrait d'adolescentes et de jeunes femmes appréciant l'urban fantasy et d'hommes plus âgé aimant la science fiction. Des lecteurs différents donc qui ont rendez-vous dans le même rayon. Est-ce que cela pose un problème ? Pas vraiment selon les libraires que nous avions interrogés. D'abord ils étaient en général plutôt opposés à ce que cela provoque une séparation en deux rayons. Ensuite ils mettaient en avant la force de leur conseil. A condition de prendre le temps d'échanger avec leurs clients, il leur semble possible d'orienter une lectrice de bit-lit vers une littérature un peu plus futuriste. A noter que pour certains libraires, la question est totalement dépassée, le public se moquant bien de savoir s'il s'agit de science fiction, de fantasy, de fantastique ou de bit-lit à partir du moment où le livre est intéressant. Eric de la librairie Critic enfonçait le clou : «  la plupart des lecteurs se moquent des genres si le livre qu’ils ont entre les mains les « piègent » au bout de dix pages et ne les lâchent pas avant la fin. »

Surproduction ?

Si certains éditeurs comme Orbit ont ouvert leurs portes à la bit-lit, la sempiternelle question de la surproduction peut s'appliquer également à ce genre. Les publications se sont multipliées en Urban fantasy ces derniers mois avec Orbit donc mais aussi Milady, Castelmore, Eclipse, J'ai lu, Hachette et d'autres. Dans ce contexte, l'offre augmentant, le marché de la bit-lit ne va-t-il pas vers une saturation ? C'est ce qu'à demandé Adrien Party à Audrey Petit, directrice d'Orbit dans cette interview. La réponse a le mérite d'être claire.
"N'avez-vous pas peur que le marché Bitlit / Romance paranormale finisse par se saturer de lui-même ? 
Audrey Petit : Franchement ? Non. Les romans de genre saturent ceux qui ne les ont pas ouverts, ou qui regrettent la crise de tel ou tel genre, je pense notamment à la science-fiction. J’aime la SF, je continue d’en lire et les agents m’en envoient (nous en publierons d’ailleurs l’année prochaine), mais je ne suis pas d’accord avec l’analyse selon laquelle un lecteur est perdu pour un genre parce qu’il vient d’en découvrir un autre… C’est légèrement plus compliqué, si vous me passez l’expression. Les lecteurs ne sont pas idiots et il n’y a pas une génération plus stupide qu’une autre. Le thème du vampire fonctionne depuis un bon moment, certes avec des hauts et des bas, des périodes plus propices que d’autres, mais il ne disparaîtra pas, il est toujours là, il est immortel, ça tombe bien :-). Il y a 10 ans, quand l’epic fantasy est arrivée en force sur le devant de la scène, on entendait les Cassandre habituelles dire « ça va se casser la figure, il y aura des morts ». Résultat, l’epic fantasy se porte plutôt bien, merci, le film Bilbo arrive l’année prochaine, l’urban fantasy règne tranquillement sur les rayons… Tout est destinée à disparaître un jour, d’accord, mais dans le cas qui nous occupe, le fait de prophétiser la saturation d’un marché est toujours aussi une forme de propagande : qui n’aime pas un genre, ne le comprend pas, a des préjugés contre lui, dit que ça va se tasser en espérant que ça aidera à le faire disparaître. Un mélange d’amertume et de ressentiment qui nie le marché lui-même et s’interdit de voir les qualités des romans en question. Dommage."

Dernier reproche que l'on fait à la Bit-lit, celui de la qualité. Jean Marigny, spécialiste des vampires, affirmait lors d'une conférence à la convention Octogône à Lyon :
"Ce que je reproche à la Bit Lit, c'est de devenir rapidement très répétitif. Les romans de Laurell K. Hamilton, c'est distrayant au début. Mais ça finit par devenir ennuyeux.". La sentence est sans appel même si d'autres voix s'élèvent par ailleurs pour défendre les qualités des romans d'urban fantasy.

Et après la bit-lit ?
 
La bit-lit a donc changé la donne dans les rayons d'Imaginaire. Mais elle y a aussi emmené un autre public, jeune et consommateur(trice) de livres. Glisseront-ils vers la science fiction, la fantasy ou le fantastique une fois étanchée leur soif de vampires et autres montres ? Reviendront-ils dans le rayon si la mode de l'urban fantasy passe ? Voilà un défi de taille à relever pour les éditeurs... Sans doute le plus important..

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