Les vingt-huit textes de cette anthologie malmènent les clichés de l'innocente victime ou de la cruelle méchante. Les personnages échappent au manichéisme : la pureté peut cacher la perversité et la gentillesse peut laisser place à la pire des cruautés. Le lecteur ne sait plus à qui se fier tant chaque situation est trouble, menaçant à tout instant de basculer dans la folie, l'angoisse ou l'horreur.

Une chanteuse assassinée remonte sur scène, des femmes arrivent d'autres planètes, d'autres univers et tournent la tête aux malheureux humains… Il y a pas mal d'irrationnel ou de paranormal dans ce recueil. Mais le malaise peut naître également de situations plus courantes : embauche, déménagement, début d'un flirt, le chemin vers l'inconnu est semé d'embûches et de pièges. Toutes les figures féminines sont traquées et disséquées ici : la femme enfant, la névrosée, la vieille dame paisible, la soumise, la dominatrice, la sœur, la mère, la star, l'inconnue, l'amie intime, l'extraterrestre, la magicienne… Toutes sont ambiguës, dangereuses ou en danger.

Femmes fatales

Au-delà de la mort, du temps, de l'espace, des contraintes humaines, elles réclament réparation ou affection, elles veillent sur leurs enfants aussi monstrueux soient-ils ou séduisent les hommes. De l'Inde mystérieuse aux plages de Bretagne en passant par les couloirs du métro, les mâles sont exposés à leurs sortilèges, à leur charme, à leurs caprices et à leurs lubies. Mais rassurez-vous. Même si quinze des auteurs sont des femmes, le ton n'est cependant pas au féminisme. Elles paient aussi dans certaines histoires. Et parfois de leur vie pour une broutille commise dans l'enfance mais démesurément enflée par la culpabilité…
En ouverture de chaque nouvelle, l'anthologiste Daniel Conrad, rédacteur en chef de la revue Ténèbres, a placé un quatrain et deux vers de poésie (de Baudelaire à Breton en passant par Racine, la Fontaine ou Malcom de Chazal). Ces exergues soulignent la continuité et l'ancienneté des thèmes de l'angoisse dans la littérature.

Une grande diversité

Du fantastique à l'absurde, de la légende au récit d'anticipation, ce livre explore un grand horizon de genres et de tons. Il propose une grande diversité dans le traitement des peurs liées à la femme : celles qu'elle inspire, celles qu'elle ressent. A ce propos, le sous-titre me paraît réducteur, les femmes dans ces histoires ne sont pas que les proies de l'angoisse, elles en sont bien souvent la source.
Cette variété des styles et des ambiances doit beaucoup aux choix hétéroclites de Daniel Conrad qui est allé piocher des auteurs non seulement dans la science-fiction et le fantastique mais encore dans le gore, le policier, la littérature pour la jeunesse ou la littérature générale. On retrouve ainsi pêle-mêle les signatures de Jean-Claude Dunyach, d'Anne Duguël, de Patrick Eris, de Marie Nimier. A côté des auteurs confirmés, l'anthologiste a ouvert les cinq cents et quelques pages de l'anthologie à des plumes débutantes.
Ces interprétations toutes très personnelles des images de l'éternel féminin viennent semer le doute dans nos conceptions établies, nous laissant l'impression que ces dames peuvent être doucement cruelles ou cruellement douces.