E. M. Forster (1879-1970) est un écrivain britannique. Plutôt méconnue en France, sa nouvelle La Machine s'arrête a été publiée une première fois en 1909 dans The Oxford & Cambridge Review et en 1928 dans le recueil The Eternal Moment. À sa sortie, sa réception reçoit pourtant un accueil mitigé. On la trouve peu convaincante et une civilisation aussi automatique semble alors peu concevable. Cette nouvelle a été traduite en français pour la première fois en 2014 par une maison d'édition associative Le Pas de Côté. Aujourd'hui, elle est devenue une collection à part entière de l'Echappée. Ils ont ainsi profité de cette époque un peu particulière pour la rééditer.
La Machine est omniprésente dans la vie des gens, omnipotente je dirais même. Mais la Machine s'arrête. Pourquoi ?
E.M. Forster décrit une nouvelle atypique dans son œuvre et son époque qui se déroule globalement sur deux temps. Le premier, la rencontre avec les deux personnages principaux, Vashti et son fils Kuno. Kuno cherche à contacter sa mère car il a quelque chose à lui dire, mais il aimerait mieux lui dire de vive voix. La seconde partie de la nouvelle est le moment tant attendu qui justifie le titre, celle où la Machine s'arrête, littéralement.
Avec une préface et deux postfaces, nous ne pourrons pas en vouloir aux éditions L'échappée de ne pas faire suffisamment d'efforts pour présenter la nouvelle, son auteur, la remettre dans son contexte historique, et enfin, ce qui justifie une publication à cette époque. La démarche est salutaire, car effectivement, on peut aisément se demander ce qui justifie aujourd'hui spécifiquement d'une nouvelle originellement publiée en 1909 !
Avec une touche rétro bien sentie, Forster décrit une dystopie assez sombre, celle où les humains ont renoncé aux contacts avec les autres pour vivre enfermés volontairement dans une bulle rassurante, dont tous les besoins sont assurés par la dite Machine. Dans ce futur, on peut dire que le télétravail est devenu une norme, que les relations entre les gens sont devenues essentiellement virtuelles, qu'on ne cuisine plus mais reçoit sa nourriture directement à domicile. Ce ne sont que des exemples parmi tant d'autres pour situer à peu près le contexte.
En parcourant ces pages, j'ai eu rapidement en tête la mécanisation horrifique des lieux de vie du film Brazil, j'ai pensé à ces curieux personnages rondelets du film d'animation Wall-E. Car cette société imaginée par Forster se veut utopique dans un premier temps, mais se révèle petit à petit pour le moins déroutante et angoissante. Les Hommes ne sortent plus, n'ont plus de notion de jour ou de nuit. Ils se gavent de musique ou de "conférences" courtes (un peu à l'image du format de plus en plus réduit de vidéos de vulgarisation). Vashti est une femme pressée et terriblement occupée. Elle ne cesse de dire à son fils qu'il doit faire vite et qu'elle n'a pas le temps, on a une pensée un peu émue au fait que, force est de constater qu'on a déjà eu l'occasion de dire cela. Dans les sociétés où tout va plus vite, ou le flux d'informations est le plus important que jamais, on peut ainsi regretter de n'avoir pas le temps de faire tout ce que l'on souhaiterait et de connaître beaucoup de choses, mais plutôt en surface.
Si Forster voyait déjà les risques que pouvait engendrer une société industrielle mécanisée à son paroxysme, la Machine n'est finalement que l'extension de plein d'autres Machines interconnectées. Elle permet de mettre en lumière notre rapport à la technologie et ses dérives.
En bref, c'est une nouvelle que j'ai pris plaisir à découvrir et qui mérite ainsi de faire partie des incontournables des amateurs de l'Imaginaire.