Ghost Love est paru début septembre aux éditions Actusf. Retour sur l'écriture de ce nouveau roman signé Loïc Le Borgne.
Actusf : Comment est née l'idée de ce roman ?
Loïc Le Borgne : Au siècle précédent, lorsque j'ai découvert l'ancien manoir de la princesse Alice de Monaco quelques kilomètres de chez moi. C'était en 1995 et j'y suis revenu souvent, y compris avec les enfants quand ils grandissaient – le château s'est nettement dégradé depuis, mais nous y sommes très souvent baladés. Nous en connaissons tous les sentiers. Le parc public boisé peu fréquenté que j'ai arpenté tout autour de l'édifice, engendrait, je trouve, une ambiance très particulière. A la nuit tombante ou en cas de grisaille, on pouvait facilement imaginer des fantômes errant dans les sous-bois, mais pas forcément méchants. Plutôt nostalgiques.
J'ai découvert cette princesse Alice, dont la vie était fascinante. Je me suis demandé ce qu'elle aurait pensé en revoyant à présent son manoir oublié. Si nous chassons de nos pensées certaines réalisations humaines, oublions-nous aussi les personnes qui y furent attachées ? Ghost Love est née de cette pensée. Alice a dû m'envoûter.
Actusf : On y suit Mathis, un jeune homme qui passe son été à travailler dans le journal local. Comment pourrais-tu nous le présenter ?
Loïc Le Borgne : Mathis est un garçon particulier. Il aime les soirées entre amis, bien sûr, il n'est pas asocial, mais ce n'est pas un étudiant tout à fait standard. Il a un peu l'impression d'être d'une autre époque, d'un autre monde. Il aime la littérature, l'écriture, il ne s'habille pas de manière consensuelle, avec sa veste marine romantique à la Corto Maltese. Et surtout, il souffre. Il a été marqué par la mort de son frère aîné, trois ans plus tôt.
Ce dernier a perdu la vie dans un accident de la route. Mathis rêve d'en savoir plus sur ce qu'il est devenu. Y a-t-il une vie après la mort ? Laquelle ? Peut-on communiquer avec des gens décédés ? Il est logique que les histoires de fantômes l'intéressent. D'autant qu'il a l'âme d'un reporter. Il veut enquêter, percer des secrets, dénicher le scoop si possible… Si des fantômes connaissent la vérité, alors il est prêt, malgré sa terreur, à les rencontrer.
Je n'ai jamais été un jeune pigiste comme lui mais j'en ai connu pas mal, puisque j'ai travaillé dans de petites rédactions de journaux de province, comme journaliste, durant dix-sept ans, avant de passer à autre chose. C'était très formateur, au point que je me demande si ce n'est pas cela, le vrai journalisme. On est la voix des oubliés, on est sincère, on raconte la vie des simples gens, pas celle des nantis. C'est ce que fait Mathis. Je suis inspiré de ce métier de proximité pour écrire certaines des premières scènes, notamment le terrible accident du poids lourd dans un village.
Actusf : L'intrigue se déroule autour du château d'Alice de Monaco. Qui était-elle ?
Loïc Le Borgne : D'abord, elle a existé, même si ce livre est une fiction… et que sa vie est un roman. Née en Louisiane au dix-neuvième siècle, embarquée sur un transatlantique adolescente, mariée à un noble de la famille Richelieu qui malheureusement décède, remariée au prince Albert Ier de Monaco, puis finalement incitée (ou décidée), pour des raisons un peu mystérieuses, à regagner son manoir au fin fond de la Sarthe… Quelle épopée !
J'ai utilisé un personnage historique pour en faire une héroïne de fiction... et je crois que ce destin l'aurait beaucoup amusée. J'y crois parce que j'ai étudié sa vie, mais surtout je me suis imprégné de son domaine près de chez moi, de ses goûts littéraires, de sa vie bien remplie.
J'ai eu la sensation, au bout de quelques années (j'ai écrit la première version de ce récit en 2015 mais j'y pensais depuis beaucoup plus longtemps) de me rapprocher d'elle. Je pense sincèrement qu'elle aurait aimé cette histoire, et surtout d'en être l'héroïne, avec son château ! C'était une femme en avance sur son temps, qui savait ce qu'elle voulait, ce qu'elle aimait, que ne s'en laissait pas conter ! Pas sûr effectivement que la principauté de Monaco était faite pour elle…
Elle aimait les arts, le théâtre, elle connaissait beaucoup d'écrivains. Proust s'est inspiré d'elle pour créer l'un de ses personnages. Pierre Loti lui a souvent rendu visite. A la médiathèque de La Ferté-Bernard, non loin du château, j'ai pu découvrir de nombreux ouvrages provenant de l'ancienne bibliothèque du manoir, dont plusieurs dédicacés à Alice. Sar Peladan, un écrivain assez étrange, célèbre à la Belle Époque, lui a écrit des déclarations lumineuses… voire enflammées. J'ai pu consulter ces ouvrages uniques et j'ai reproduit de véritables dédicaces de Sar Peladan dans ce roman, en les attribuant à Sar Lusignan. Personne ne les avait lues depuis des décennies, peut-être même depuis qu'elles avaient été écrites !
Pauvre Peladan, il était certainement beaucoup plus sympathique que Lusignan, bien qu'un peu ésotérique tout de même... C'est d'ailleurs en découvrant par hasard ces dédicaces, il y a une dizaine d'années, que je me suis décidé à écrire cette histoire. C'était étrange de tomber sur ces lignes manuscrites destinées à Alice alors que je songeais à elle et à ce roman depuis longtemps. Comme une invitation…
Château Haut Buisson (@Constantin Adrien)
Actusf : Le château existe réellement. Il est au cœur du roman. Que peux-tu nous dire dessus ? Qu'est ce qui te fascine dans ce lieu ?
Loïc Le Borgne : Ce manoir est, dans le livre, un personnage à part entière. Comme beaucoup de monuments anciens, il m'a fasciné parce qu'il est imprégné d'histoire. Je ne parle pas de frise chronologique et de dates, mais d'humains qui ont vécu entre ces murs, qui ont aimé cet endroit durant des années. Souvent, je pense aux endroits que nous aimons. Que seront-ils dans deux cents, trois cents ans ? Deux mille ans ? Que seront nos villes, nos grands monuments, la forêt qu'on arpentait ?
En visitant des lieux très anciens, comme le forum antique à Rome ou la ville d'Ostie avec mon épouse (qui est prof d'histoire), ces questions m'ont tourné dans la tête. Comment était-ce à l'époque ? Qui étaient les gens qui vivaient là ? Qu'aimaient-ils, de quoi avaient-ils peur, qu'espéraient-ils ?
Le manoir d'Alice, c'est une porte hors du temps qui nous relie aux fantômes du passé. La barrière temporelle y semble plus fragile. En se baladant dans le parc, on peut imaginer ces gens, presque les côtoyer. Ces questionnements sont à la base de Ghost Love.
Actusf : C'est une histoire de passé et de présent, de vivants et de fantômes. Tu avais envie d'écrire sur ce passé qui nous hante ? C'est aussi un peu le sujet (un des sujets) de Je suis ta nuit. Il y a un lien entre les deux ?
Loïc Le Borgne : Le lien, c'est le temps qui passe en chacun d'entre nous, et qui nous forge. Entre l'enfance et l'âge adulte dans Je suis ta nuit, entre nos générations et celles qui ont précédé dans Ghost Love. Et au fond on tombe sur la même question : que devenons-nous, l'âge passant ? Sommes nous fidèles à nos idéaux de jeunesse ? Ce sont des interrogations que l'on retrouve dans Je suis ta nuit. Mais aussi : que devenons-nous pour les générations suivantes ? De vagues souvenirs ou des fantômes qui inspirent le présent ? Contrairement à la plupart des animaux, l'humain vit dans le passé, présent et l'avenir. Ghost Love parle de cet étrange pouvoir de notre espèce...
Actusf : On a tous vu ou lu des histoires de fantômes. Est-ce facile d'écrire encore aujourd'hui du fantastique alors qu'il irrigue nos loisirs en livres, en films ou en séries...
Loïc Le Borgne : Oui mais un peu d'innovation s'impose sans doute. Quand j'ai compris qu'il me fallait écrire une histoire de fantômes pour parler d'Alice, j'ai songé à Twilight. Ces livres (ou films), que mes filles adolescentes m'ont fait découvrir, ont été beaucoup critiqués. S'ils sont sur le plan sentimental très conservateurs, ils sont tout de même révolutionnaires. Un vampire en plein jour ? Dans le le lycée ? J'ai décidé de m'en inspirer pour casser les codes des romans de fantômes.
Un fantôme en plein jour ? Oui. Gentil ? OK (mais pas seulement). Dans Ghost Love, les fantômes qui font peur sont des spectres qui s'amusent de nos terreurs. Parfois, les humains qu'ils étaient sont les véritables horreurs. J'avoue avoir piqué quelques idées à Ghost, ce film d e 1990. Les fantômes ne faisaient pas forcément peur...
Actusf : Sur quoi travailles-tu actuellement ?
Loïc Le Borgne : Sur le culte de l'image, du masque… qu'on appelle aussi avatar. Le masque, c'est un hasard, j'ai travaillé sur un manuscrit traitant de ce sujet un an avec le confinement. Un futur roman pour adolescents. J'ai aussi commencé l'écriture du cinquième et dernier tome des Loups, une série pour les 11 ans et plus. Je veux une fin digne de ce nom. Et puis j'attends avec impatience la sortie du film Le Cygne des héros, tourné dans ma région par Claude Saussereau. Une histoire magnifique avec des enfants, qui parle des songes et de la vie des gamins à cet âge, quand imaginaire et réalité se mêlent (comme dans Je suis ta nuit). J'ai co-écrit le générique, Comme un ange, avec le chanteur et musicien Baptistin Fréal, qui a réalisé la bande originale. Allez voir ce beau film !
Propos recueillis par Jérôme Vincent.