Au cours des premières années de notre siècle, la science-fiction a fait partie de l’arsenal d’endoctrinement pro-Russe en Ukraine (cf. l’article de Konstantin Skorkin, Post-Soviet science fiction and the war in Ukraine). Les livres revisitant l’histoire ont alors abondé, allant parfois jusqu’à mettre en scène dans un même récit Staline et Poutine… Heureusement, tous les auteurs Russes et Ukrainiens de science-fiction (et littératures associées..) ne sacrifient pas aux mêmes idoles. Peu nombreux à être traduits en France, nous connaissons surtout Marina et Sergueï Datchenko, Henry Oldie Lyon et, avec des thrillers décontractés d’où les lecteurs émergent avec le sentiment d’avoir, l’espace de quelques pages, été sur le point de basculer dans un autre monde, Andreï Kourkov (Le Pingouin, Laitier de nuit…) Pour en savoir davantage, les éditions Lingva et le travail de Viktoriya et Patrice Lajoye sur l’imaginaire Russe et Ukrainien sont une référence. En ce tragique printemps 2022, il a semblé opportun de mettre en lumière l’œuvre d’un auteur ukrainien de science-fiction particulièrement original, Oless Berdnyk.
Droits de l’homme et du cosmocitoyen…
Défenseur passionné d’une Ukraine libre et démocratique, acteur majeur dans le domaine des droits de l’homme en URSS, écologiste avant la lettre, ses activités ne pouvaient manquer d’irriter les autorités Soviétiques. La vision poético-mystique de la politique d’Oless Berdnyk (l’un des chefs d’accusation portés à son encontre par le KGB était « messianisme ukrainien ») ne le conduisit malheureusement pas dans les étoiles mais dans les camps de travaux forcés les plus sévères du régime, ou il passa une grande partie de sa vie, durant les années cinquante et quatre-vingt. La confrérie étoilée, seul recueil disponible en français, est organisé de manière à exprimer les deux approches de la réalité propres à cet auteur hors normes : une science-fiction imprégnée de préoccupations politiques et des textes politico-poétiques faisant abondamment référence à une Ukraine spirituelle mythique. La première partie du livre regroupe donc quatre textes de fiction dont le premier, La constellation des poissons verts, se présente sous la forme d’une conversation entre deux amants, dont l’un propose de quitter un monde matériel source de douleur pour « aller se jeter dans le gouffre des possibles », un imaginaire « libéré du despotisme du temps et de l’espace ». Puis vient Le parchemin noir, qui renferme la connaissance des secrets de l’univers et exprime lui aussi la quête de sens métaphysique d’Oless Berdnyk, symbolisée par le départ de l’humanité vers les étoiles. C’est ce qu’il s’est produit dans le monde censément parfait décrit par le texte suivant : La révolte des cosmocrates, dans lequel, lors d’un congrès extraordinaire de hauts responsables cosmiques, une équipe de cosmocrates de retour d’une expédition dans la multidimension ne propose pas moins que de détruire le Système et laisser l’Univers renaître de ses cendres pour générer un cosmos où tout ne serait qu’amour et harmonie…
Politique-fiction lyrique…
Les textes qui suivent, politiques avec plus d’évidence que les précédents, complètent la vision des futurs radieux d’Oless Berdnyk et mêlent avec enthousiasme réquisitoires contre les despotismes, glorification d’un esprit cosaque et libertaire idéalisé, références littéraires ukainiennes… Un survol distrait de ces derniers textes pourrait laisser croire aux élucubrations d’un poète doué mais un peu fou (ne le sont-ils pas tous ?) Un examen plus attentif révèle cependant des idées remarquables, ne serait-ce que d’un point de vue artistique et philosophique. Le concept d’évolution alternative, par exemple, qui allie la préservation de la biosphère avec une forme de transhumanisme naturel afin de favoriser la naissance d’une confrérie étoilée, une fraternité à l’échelle cosmique, respectant toutes les cultures et formes de vie de l’univers... Et toujours, comme un leitmotiv dont nous sentons aujourd’hui toute la force, la re-création d’un pays enfin libre à travers la naissance de cette République Spirituelle d’Ukraine dont Oless Berdynk a été à la fois chantre et, espérons-le, précurseur.
