Universitaire et historien de la science-fiction, James Gunn est un de ces auteurs qui connaissent le genre en profondeur. Ses nombreuses nouvelles et romans ont pour dénominateur commun la vision dynamique d’une humanité qui oscille sans cesse entre espoirs et réalité. Il illustre souvent la confrontation de ces deux éléments sous une forme humoristique qui n’est pas sans rappeler la verve de Robert Sheckley, et les réflexions contenues dans ses textes les plus critiques à propos de nos sociétés contemporaines sont encore si pertinentes qu’une lecture attentive s’impose !
C’est en abattant les murs qu’on devient libre…
Pour William Dane, simple acolyte dans la Cathédrale de la Ville Impériale, le monde semble aussi simple que la vie bien réglée d’un novice. Pourtant, un jour qu’il est désigné pour accomplir les miracles technologiques requis par la célébration liturgique, son regard croise celui d’une jeune femme, belle et visiblement désespérée. Pendant l’office, il repère sur ses écrans de contrôle des hommes en noir, postés à l’extérieur de la barrière électromagnétique protégeant le lieu saint, probablement des mercenaires à l’allure patibulaire… Et lorsque la jeune femme quitte l’enceinte de la Cathédrale après y avoir dissimulé un étrange cristal, William Dane assiste à une scène dont l’horreur le fera douter de sa foi et quitter la sécurité du monastère dans lequel il a toujours vécu…
Avec cette histoire qui se déroule sur un des mondes d’un empire spatial sur le déclin et dont chacune des colonies est vouée à l’isolement, James Gunn nous a légué un premier roman particulièrement intéressant. Il nous décrit la quête d’un jeune homme qui ne se satisfait plus de l’isolement dans lequel se complaisent ses semblables et, par extension, ceux qui peuplent les mondes inaccessibles dont l’Empire Galactique est constitué. Qu’est donc devenu le rêve d’universalité des débuts de l’expansion spatiale ? Est-il possible de briser les chaînes de l’ignorance, avec lesquelles les dirigeants croient protéger leurs mondes forteresses en maintenant le peuple dans la crainte de l’extérieur ? Quelqu’un détient-il encore la clef qui ouvrira à nouveau les portes de l’espace et de la liberté qu’il peut offrir ?
L’humour est une chose sérieuse, rions-en…
Le club du livre d’anticipation, collection prestigieuse des éditions Opta, a laissé à la postérité de nombreuses pépites qui ne sont que trop rarement reprises. Le monde forteresse est de celles-ci, comme Futur Imparfait, le recueil de nouvelles très caustiques qui constitue le second tiers de cet imposant volume. Proche du ton d’un Robert Sheckley au meilleur de sa forme littéraire, les textes qui le composent brocardent avec un humour ravageur une société occidentale qui, même à un demi-siècle de distance, a conservé intacts les mêmes travers… La société de consommation, les relations hommes-femmes et vice-versa, la mainmise de la technologie sur nos existences, le désir et la manipulation des individus, la publicité… Une citation de la nouvelle intitulée C’est tous les jours Noël, en guise de conclusion à cette chronique : « Soyez quelqu’un : achetez quelque chose ! » Si cet achat est un livre écrit par James Gunn, sa lecture pourrait bien vous émanciper de certaines injonctions commerciales…
Des étoiles dans les yeux…
Le troisième livre de ce recueil consacré à James Gunn est une série de nouvelles connectées entre elles par le thème de la conquête spatiale, encore à ses balbutiements en 1958, à l’époque de la parution de ce fix up. Depuis le départ du premier homme dans l’espace jusqu’au premier voyage sur Mars, l’auteur met en relief cette aventure humaine avec une grande sensibilité, qui donne un contraste surprenant avec le thème sous-jacent de la manière dont les gouvernements de la Terre mettent en scène chaque avancée technologique, quitte à maquiller la réalité afin de la rendre plus brillante. Les hommes du dehors est une réussite dont le charme très fifties hante encore les mémoires longtemps après la lecture…
