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Le Vampyre de John William Polidori mis en lumière par Adrien Party
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Le Vampyre de John William Polidori mis en lumière par Adrien Party

"Sans ce roman, je ne suis pas sûr que la figure du vampire aurait connu ce premier fleurissement éditorial (ni les suivants)."

Fondateur et membre très actif du site Vampirisme.com, Adrien Party est aujourd'hui un des grands spécialistes de la figure du vampire. Nous nous sommes tournés vers lui pour parler de la réédition du Vampyre de John Polidori aux éditions des Forges de Vulcain afin de replacer ce roman dans l'histoire de la littérature vampirique...

Actusf : Qui était John William Polidori ?

Adrien Party : John William Polidori était le fils d'un érudit italien et d'une gouvernante. Il devient le médecin personnel de Lord Byron à partir de 1816, un an après avoir terminé ses études, et ce jusqu'en 1819. S'il avait déjà publié une thèse sur le somnambulisme durant son cursus, c'est bien l'année où il rentre au service du poète anglais que sa production littéraire bascule du côté de la fiction. En 1916, il publie ainsi deux pièces de théâtre, tout en continuant de produire aussi des non-fictions, ainsi qu'un essai sur la peine capitale, On the Punishment of Death. Pour autant, c'est son Vampyre qui est la seule œuvre littéraire qui soit passée à la postérité. Autant parce qu'elle constitue la première œuvre d'importance en prose autour de la figure du vampire, que parce qu'elle fut un temps attribuée à Lord Byron.

Actusf : Sait-on pourquoi il a eu envie d'écrire Le Vampyre et pourquoi ce texte a dans un premier temps été attribué à Lord Byron ? Que s'est-il passé dans ce séjour Suisse à la Villa Diodati avec Polidori, Lord Byron, Percy et Mary Shelley pour qu'il soit si productif (puisque c'est de ce séjour qu'est également sorti Frankenstein) ?

Adrien Party : L'écriture de The Vampire : A Tale a été rendue possible par le jeu littéraire que se sont livrés Polidori, Byron, Percy Shelley et sa future femme, Mary (alors Wollstonecraft). La météo peu clémente de l'été 1816 (due à une éruption volcanique), l'influence des lectures communes que le petit groupe a eues à cette occasion (Fantasmagoriana, réédité il y a peu par les indispensables éditions Otrante) a fait baigner le petit groupe dans une ambiance toute particulière. Jusqu'à ce qu'ils se lancent le pari de rédiger chacun une œuvre inspirée par ces récits fantastiques traduits de l'allemand.

"Mais c'est un roman maudit, car c'est sous le nom de Byron qu'il fut initialement publié [...]"

"Et à travers le personnage de Lord Ruthven, difficile de ne pas penser à une manière pour Polidori de rendre justement compte de la personnalité de Byron, et de son vécu de leur relation."

À cette époque, on sait que le petit groupe ne faisait pas grand cas de la production littéraire du médecin du Lord, qu'ils jugeaient de bien piètre qualité. Mary connaîtra le succès avec Frankenstein, son roman tiré de ce brainstorming surnaturel, qu'on peut voir comme l'acte de naissance de la science-fiction. L'autre grand succès qui naîtra de cet épisode de la Villa Diodati, c'est pourtant le roman de Polidori. Mais c'est un roman maudit, car c'est sous le nom de Byron qu'il fut initialement publié (les premières éditions françaises de l'intégrale de Byron l'incluaient encore). Polidori est en effet parti d'un fragment rapidement délaissé par son maître, dont la participation au jeu littéraire n'a ainsi pas été concrétisée, mais le Lord c'est toujours décrié être l'auteur du roman, alors que Polidori se réclamait ouvertement l’être. Le texte était initialement sous-titré « A tale by the right honorable Lord Byron », Polidori confessant par-là être parti d’une idée du poète. Et à travers le personnage de Lord Ruthven, difficile de ne pas penser à une manière pour Polidori de rendre justement compte de la personnalité de Byron, et de son vécu de leur relation.

Reste que ce qui s'est passé à la villa Diodati est un événement littéraire notable. Assez pour avoir influencé pléthore de romans et de comics. Je pense notamment au Poids de son Regard de Tim Powers, à Unwritten de Mike Carey et Peter Gross, à La Villa des Mystères de Federico Andahazi. Voire à Impostures de Benjamin Markowitz, qui se penche particulièrement sur la spoliation dont a été victime Polidori.

Actusf : Quelle place à ce texte dans l'histoire des vampires ? Pourquoi dit-on qu’il a popularisé le mythe ?

"Le Vampyre de Polidori est la première œuvre romanesque mettant en scène la figure du vampire qui soit passée à la postérité."

Adrien Party : Le vampire était déjà devenu une figure littéraire avant Polidori. Mais depuis Der Vampyr de Ossenfelder, il était resté cantonné à la poésie, sous l’influence toute particulière des romantiques allemands tels que Bürger et Goethe, puis des Anglais comme Southey, Byron (qui avait déjà écrit le Giaour avant de se retrouver mêlé à la genèse du Vampyre) et Coleridge.

Le Vampyre de Polidori est la première œuvre romanesque mettant en scène la figure du vampire qui soit passée à la postérité. En opposition à la poésie, le médecin choisit de faire de son vampire un homme, aristocrate qui plus est. Josh Sheridan Le Fanu, pour son Carmilla, conservera cette appartenance du vampire à la haute société, le personnage éponyme étant une comtesse. Stoker, pour Dracula, gardera autant le sexe masculin que l’affiliation à la noblesse. Les romantiques utilisaient la femme vampire comme une personnification de la femme fatale, Polidori semble plutôt vouloir régler ses comptes avec son employeur en donnant vie au personnage de Ruthwen.

"On peut sans hésitation dire que le roman de Polidori a déclenché un vrai raz-de-marée vampirique."

Le statut de jalon du roman de Polidori se perçoit également dans la manière dont il se pose d’emblée comme un point de départ pour d’autres créatifs. En France, notamment, il n’a pas fallu attendre plus d’un an pour que le texte ne soit traduit, et que Cyprien Bérard ne publie sa « suite » : Lord Ruthwen ou les vampires. Nodier a rapidement chanté les louanges du roman original, et travaillé à une adaptation pour le théâtre. Deux opéras (Allemands dans les deux cas) ont également adapté le texte, l’un par Henrich Marschner, l’autre par Peter Josef von Lindpaintner, tous deux sortis en 1928. C’est également dans le sillage du texte du médecin de Byron que s’inscrit la publication de nouvelles de Dumas (La dame pâle), d’Alexey Tolstoy (La famille du Vourdalak), de Charles Nodier (Infernaliana, Smarra), etc. Ainsi que des romans comme Le vampire ou la vierge de Hongrie de Lamoth-Langon. On peut sans hésitation dire que le roman de Polidori a déclenché un vrai raz-de-marée vampirique.

Actusf : Quelles sont les caractéristiques vampiriques de Lord Ruthven ?

"On comprend, par la manière dont il semble capable de revenir d’entre les morts, qu’il est immortel, mais il ne fait pas montre d’attributs surnaturels, en dehors de son magnétisme quasi animal."

Adrien Party : Si Ruthven partage avec les femmes vampires de la poésie romantique une séduction capable de conduire au trépas ses victimes, il incarne le premier vampire notable de sexe masculin. Et si son appartenance à l’aristocratie permettait à Polidori de régler ses comptes avec Byron, elle a depuis fait école (Sheridan le Fanu et Bram Stoker ont repris ce trait dans leurs romans respectifs). Pour autant, les caractéristiques du personnage sont relativement peu détaillées. On comprend, par la manière dont il semble capable de revenir d’entre les morts, qu’il est immortel, mais il ne fait pas montre d’attributs surnaturels, en dehors de son magnétisme quasi animal.

Actusf : Est-ce que ce roman se lit encore bien en 2019 ?

Adrien Party : Les traductions commençaient à dater. Quand il a été réédité il y a quelques années au sein de la collection Frisson, le roman l’a été dans une version très datée. Il existe certes une traduction par Jean-Claude Aguerre, mais elle remonte à 1996, et a été confinée à la collection Babel chez Actes Sud. En tant que spécialiste de la figure du vampire, il me semble intéressant que ces textes fondateurs restent disponibles, et que les traductions soient dépoussiérées pour faciliter l’immersion du lecteur. En raison du style assez poussif de Polidori, il s’agit néanmoins d’un des romans fondateurs avec lequel j’ai le plus de mal : je lui préfère de loin le Carmilla de Le Fanu. Pour autant, on peut difficilement avoir une vision d’ensemble de la thématique sans s’y frotter, compte tenu de son rôle de précurseur. Finalement, ce qui me passionne le plus dans ce texte, c’est autant l’histoire de sa genèse (qui n’a pas fini de faire travailler les créatifs) que l’engouement qui l’a suivi. Sans ce roman, je ne suis pas sûr que la figure du vampire aurait connu ce premier fleurissement éditorial (ni les suivants).

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