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Le Vampyre de John William Polidori, pourquoi le relire ?
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Le Vampyre de John William Polidori, pourquoi le relire ?

David Meulemans est le directeur des éditions des Forges de Vulcain. S'il publie de nombreuses nouveautés en littérature générale mais aussi en science fiction, fantastique et fantasy, il aime également rééditer des grands classiques comme ce Vampyre de John Polidori, un roman clef dans l'histoire de la littérature vampirique. Il nous explique pourquoi...

Actusf : D'abord quel regard en tant qu'éditeur posez-vous sur ce roman ? Qu'est-ce qui vous a donné envie de le rééditer ?

"Je désirais le rééditer, car cela me semblait être une pièce manquante dans la culture littéraire de notre époque, à cause d'un raté éditorial."

David Meulemans : Depuis quelques années, j'essaye de lire les textes que lisaient les autrices et auteurs des grands classiques. Après le Frankenstein de Mary Shelley, j'ai lu les romans de William Godwin (père de Mary Shelley) et les essais de Mary Wollstonescraft (sa mère), les poèmes et essais de Percy Shelley, son mari. Et je suis tombé sur Le Vampyre de John Polidori. Le texte de Polidori a été conçu le même jour que celui de Mary Shelley, lors d'un séjour au bord du lac Léman, réunissant les Shelley, Polidori, Lord Byron et la sœur "adoptive" de Mary Shelley, Claire Clairmont. Les deux "monstres" créés à cette occasion ont eu une fortune particulière, en littérature, mais au cinéma aussi, et dans tous les arts. Avec cette différence que la figure du vampire n'est pas une invention de Polidori - il la réinvente en créant la figure du "vampire aristocrate", que reprendra Bram Stoker, 78 ans plus tard. Je désirais le rééditer, car cela me semblait être une pièce manquante dans la culture littéraire de notre époque, à cause d'un raté éditorial.

Actusf : Quelle place a-t-il pour vous dans l'histoire des Vampires ? Et quel est l'intérêt de votre point de vue d'éditeur de proposer à nouveau ce genre de textes (comme vous l'aviez fait pour William Morris) plutôt que de publier un inédit ?

David Meulemans : C'est dans ce texte que naît le vampire moderne. Même si, chez Polidori, le style reste très proche d'un romantisme classique. On est loin de Stoker qui est, lui, un victorien - avec des obsessions et préoccupations différentes. Pour moi, aller puiser dans le 19ème siècle, cela permet deux choses. D'une part, interroger la frontière, aujourd'hui trop forte entre les littératures de genre et la littérature générale : à l'époque de Polidori, cette frontière n'existe pas. D'autre part : aller chercher des classiques, c'est donner un idéal aux autrices et auteurs de notre temps. C'est une manière de leur montrer qu'il faut être ambitieux, mais que l'idéal peut être atteint, car il a déjà été atteint par d'autres. Après tout, une romancière, un romancier, c'est quelqu'un qui lit - mon rôle d'éditeur, c'est de nourrir cette lecture. Je n'ai pas le désir de ne publier que des classiques, mais plutôt d'utiliser les classiques pour soutenir la création contemporaine.

Actusf : Est-ce que c'est une pièce de musée ou au contraire est-ce un récit qui nous parle encore aujourd'hui ?

"Dans ce travail de suite, empreint de romantisme noir, on a une sorte d'exercice de fanfiction avant l'heure. Le donner à lire aux lectrices et lecteurs de notre époque, c'est montrer la nécessité de jouer avec les classiques, de jouer avec les autres arts [...], et d'échanger avec les autres littératures européennes."

David Meulemans : Je pense que cela nous parle encore aujourd'hui car, justement, c'est une pièce de musée. C'est une esthétique éloignée de la nôtre et donc, idéale pour nous faire douter de notre esthétique contemporaine, idéale pour nous faire prendre de la distance. J'aime d'ailleurs beaucoup que ce soit un texte court - il est plus aisé de le lire, de le relire, de le ruminer. Et il est suivi d'une suite non officielle, qui lui a sans douté été ajoutée en 1826 par Cyprien Bérard, un ami de Charles Nodier. Dans ce travail de suite, empreint de romantisme noir, on a une sorte d'exercice de fanfiction avant l'heure. Le donner à lire aux lectrices et lecteurs de notre époque, c'est montrer la nécessité de jouer avec les classiques, de jouer avec les autres arts (Nodier avait écrit une adaptation théâtrale du texte de Polidori), et d'échanger avec les autres littératures européennes. Il est assez étonnant de voir combien les échanges culturels étaient forts à l'époque de Byron alors que les moyens de communication étaient plus rudimentaires. Cette nouvelle édition est d'ailleurs suivie d'une postface que j'ai écrite avec Thomas Spok, un romancier des Forges, une postface qui n'est pas conclusive, mais qui veut lancer une discussion sur ce que l'on peut faire, désormais, avec ce mythe. Comment le réinventer.

Actusf : Souvent les éditeurs font réviser les traductions ou en proposent de nouvelles. Est-ce que vous avez touché à cette traduction ?

David Meulemans : Cette traduction a été réalisée pour nous en 2010 par Arnaud Guillemette - elle est récente donc. Même si nous avions fait un premier tirage, assez modeste, il y a neuf ans. Nous avons relu cette traduction de 2010, mais ne l'avons pas retouchée : elle n'a pas eu le temps de se périmer !

Actusf : Est-ce que c'est un one shot ou as-tu d'autres projets de rééditions du même type ou d'autres projets vampiriques ? Ouvre-t-il le bal ?

David Meulemans : Nous préparons pour fin 2019 ou début 2020 un texte contemporain sur les vampires. Je ne peux pas trop en dire pour l'instant. Le texte est avancé et je pense qu'il déstabilisera pas mal de lectrices et de lecteurs. L'idée est qu'à chaque génération, il faut réinventer cette figure du vampire, voir ce qu'elle métaphorise. Et parallèlement, je pense que je vais faire une tournée en librairie, toute l'année, pour présenter cette nouvelle édition de Polidori. La première date sera le 5 mars, à 18h, à la Librairie la Dimension fantastique, à Paris. Venez !

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