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Les coups de coeur de Jean-Luc Rivera pour La semaine des quatre jeudis,  Les Ames de l’Ouest et The River Has Roots
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Les coups de coeur de Jean-Luc Rivera pour La semaine des quatre jeudis,  Les Ames de l’Ouest et The River Has Roots

Xavier Mauméjean , avec « La semaine des quatre jeudis » (Alma Editeur), poursuit son exploration de ce Paris fascinant de l’Entre-deux-guerres commencé avec « Kafka à Paris ».  Il nous fait participer à quatre jeudis d’Anaïs Nin, célèbre pour ses journaux secrets qui, derrière sa vie bourgeoise de femme de banquier, révélèrent une vie plutôt riche et « agitée » (en matière de mœurs) au cœur de la vie intellectuelle parisienne : son mari lui laisse le jeudi pour faire ce qu’elle veut à condition de n’en rien savoir. Nous la suivons donc dans ces journées de liberté où elle fréquente, entre autres, Henry Miller, Antonin Artaud, le Dr. Allendy, psychanalyste et alchimiste, ou William Seabrook, parcourant un Paris ravagé par une peste moderne, issue de ces étranges fictions qui viennent des hypermondes : c’est une magnifique idée de l’auteur qui lui fait faire, à travers la célèbre conférence d’Antonin Artaud à La Sorbonne sur la peste et le théâtre, en la détournant légèrement, un parallèle entre la peste et l’imagination grâce au tout aussi célèbre texte de Maurice Renard sur le merveilleux-scientifique.

Comme toujours avec Xavier Mauméjean le texte est d’une érudition époustouflante, mêlant intimement le réel et l’imaginaire : qu’en est-il, par exemple, de la scène où le psychanalyste d’Anaïs apparaît vêtu seulement de fixe-chaussettes et un fouet à la main devant sa patiente médusée, un épisode d’une cocasserie sidérante ? Ou l’improbable entrevue entre Anaïs Nin, Antonin Artaud et sa machine à recerveler et Bernard Grasset ? Chaque mot, chaque détail compte, des stations de métro à la pièce de trois dollars ou à la Jabberwhorl Cronstadt Company, un texte ciselé avec toujours une pointe d’humour. Le texte se lit avec délectation, comme on déguste un grand cru, à petites gorgées, en prenant le temps de le déguster.

Je terminerai avec un petit conseil : si, comme moi, vous n’avez qu’une connaissance plus que sommaire d’Anaïs Nin, Henry Miller et Antonin Artaud, faîtes une petite recherche sur eux avant de lire le roman de Xavier Mauméjean afin d’en apprécier ensuite toute la finesse.

Nous avions découvert Ellie S. Green avec sa superbe trilogie « Steam Sailors » (Gulf Stream) : changeant complètement de registre, elle nous revient avec « Les Ames de l’Ouest », premier tome du diptyque « Silverton » (toujours chez Gulf Stream). Elle nous fait découvrir une Amérique qui, en 1867, est envahie par les « pellucides » (les transparents), des spectres issus de morts (et elles furent nombreuses pendant la Guerre de Sécession) qui s’en prennent aux vivants et épouvantent même les « fantômes normaux ». Pour se protéger tant bien que mal, les humains utilisent les vieilles techniques éprouvées du vaudou et de l’exorcisme catholique, sans parler de superstitions diverses… Linus O’Reilly, ancien soldat spécialisé dans les explosifs et victime d’un sort qui lui a sauvé la vie mais en lui redonnant le corps d’un enfant d’une douzaine d’années, et sa sœur Sinéad, médium évadée d’un asile psychiatrique car elle voit et communique avec les fantômes, vont se retrouver embrigadés, avec Sam, ancien esclave et sorcier vaudou, dans les rangs de l’Agence Silverton, une branche secrète de Pinkerton, dirigée par Allan Pinkerton et Victor Hugo, et dans laquelle Robert Houdin dirige le département scientifique afin de trouver un moyen de lutter efficacement contre les pellucides. Le trio va être chargé d’une mission particulièrement dangereuse dans une mine hantée et découvrira, outre des secrets que certains préféreraient garder dissimulés, des alliés inattendus.

Le roman nous fait aller de rebondissement en rebondissement dans des directions parfois inattendues, cette Amérique où cohabitent vivants et morts est fascinante, les personnages principaux sont d’une complexité psychologique qui permet au lecteur de comprendre leurs actions et réactions et d’avoir de l’empathie pour eux. De plus, l’autrice a bien rendu, tout au long du roman, cette pensée scientiste typique du XIXe siècle selon laquelle la science découvrira toutes les lois de la nature et que le surnaturel n’existe pas, il n’est simplement pas encore expliqué et reproductible.

Vivement le second tome afin de connaître la fin de ce roman remarquable, fort agréable à lire et difficile à poser.

Je viens de terminer un très joli court roman fantastique, très poétique et envoûtant, « The River Has Roots » (Nouveaux Millénaires) d’Amal El-Mohtar (autrice ayant déjà eu le Hugo, le Nebula et le prix Locus pour « Les Oiseaux du temps », co-écrit avec Max Gladstone, excusez du peu…). Elle nous y conte la vie de deux sœurs de la famille Hawthorn, dans la petite ville de Thistleford, qui s’occupent des terres familiales sur lesquelles poussent des saules enchantés, le long de la rivière Liss, à la lisière de l’Arcadie (l’un des noms utilisés par euphémisme pour désigner la Féerie). Les deux sœurs s’adorent mais un prétendant malotrus et un autre venu de l’Arcadie vont créer le trouble entre les deux sœurs.

Amal El-Mohtar a très bien intégré toutes les superstitions et les croyances folkloriques concernant la Gentilhommerie et le pays féerique ce qui rend Rin et ses réactions d’amoureux tout à fait compréhensibles. Tout le roman est chargé de cette « grammaire » (un autre euphémisme fort bien trouvé) qui emplit les eaux et l’atmosphère des Terres Modales et qui fonctionne très bien : on se laisse emporter au fil des lieux et de l’évolution des sœurs et de leurs prétendants, dans une atmosphère paisible qui se tend soudainement. Quant au dénouement, cela faisait longtemps que je n’avais rien lu comme cela, à la fois doux-amer et touchant, j’ai adoré !

Jean-Luc Rivera

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