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Les Coups de coeurs de Jean-Luc Rivera - Février 2019
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Les Coups de coeurs de Jean-Luc Rivera - Février 2019

Roxane Dambre, après ses excellentes séries Animae et Les Scorpi, nous revient avec une nouvelle héroïne dans Derrière les étoiles (Calmann Levy), 1er tome d’une nouvelle série intitulée Signé Sixtine, dans laquelle nous retrouvons l’humour qui caractérise l’auteur.
Sixtine, jeune fille aux goûts vestimentaires et décoratifs étonnants (couleurs flashy qui pètent…), vient de décrocher son premier job dans le prestigieux magazine ActuParis et son premier papier consiste à couvrir l’hyper excitant « Congrès sur les Mathématiques appliquées à la relativité et à la cosmologie », accompagné du nouveau photographe stagiaire, Melchior. Elle a une idée de génie : suivre le congrès à travers les yeux d’un mathématicien super sexy, Bastien, qui travaille dans un observatoire d’astrophysique à l’équipe complètement déjantée mais hyper pointue. Et lorsque Elvis Ellroy, le King de l’astrophysique, est assassiné juste avant de faire une communication révolutionnaire dont il était le seul à connaître la teneur, Sixtine va se retrouver à mener l’enquête, enquête qui va l’entraîner à des découvertes tout à fait inattendues. Elle va même sidérer le très sérieux mais très ouvert commissaire Châteaudun qui mène les investigations officielles.

Et dans le deuxième tome, Les échos de l’au-delà (toujours chez Calmann Levy), nous retrouvons la sympathique équipe, composée de Sixtine et de son photographe stagiaire Melchior, assignée à un autre congrès étrange, consacré cette fois à la vie après la mort. Ce sera l’occasion pour elle de rencontrer le Dr Lapierre, un médecin légiste aux idées et aux intérêts particulièrement larges, la jeune Estelle, l’organisatrice du congrès, richissime orpheline traumatisée par la mort de ses parents et par un oncle médecin autoritaire, et Dimitri, jeune inventeur timide de génie (Nobel assuré selon Sixtine). Le bourru commissaire Châteaudun et l’excentrique patron de Sixtine, M. Dupré, seront aussi impliqués dans l’enquête ; entre maisons hantées, visites nocturnes de cimetières et dénonciation des charlatans, Sixtine sera égale à elle-même et fera la preuve, une fois de plus, de ses talents d’enquêtrice journalistique et de ses goûts peu communs en matière de mode et d’assortiment des couleurs (sans parler d’une dérive végétarienne induite par Melchior qui fera grincer des dents les lecteurs carnivores dont je suis… mais heureusement ils s’en remettront).

Voici à nouveau une série drôle, ne se prenant pas trop au sérieux, destinée à un public « very young adults », pleine de rebondissements, très contemporaine, avec un personnage principal très sympathique et des seconds rôles qui le sont tout autant, de la pure lecture plaisir comme on l’aime.

En juillet dernier, je vous parlais de L’Age des Assassins, premier volume du Royaume blessé de R. J. Barker, un roman de fantasy très original, avec ses terres ravagées par la magie dans lesquelles œuvrent le jeune apprenti assassin Girton Pied-Bot et sa maîtresse, Merela Karn, dans le nid d’intrigues et de complots qu’est le château de Maniyadoc. Nous retrouvons cinq ans plus tard Girton, de retour sur les terres qu’il a fui, dans Le Sang des Assassins (Bragelonne). Girton a mûri mais il est toujours aussi peu sûr de lui, refusant et cachant ses pouvoirs qui représentent un danger terrible pour lui alors que la peur et la haine des sorciers sont à leur pic, dans ces terres ravagées non seulement par la sorcellerie ancienne mais aussi par la lutte impitoyable que se livrent les trois prétendants au trône. Alors que Merela est empoisonnée, Girton va devoir prendre ses décisions – bonnes ou mauvaises, il doit décider lui-même de ses actions – pour aider ou non son seul ami, le prétendant Rufra, en position précaire. Y a-t-il bien un traître dans son entourage, attendant le bon moment pour exécuter Rufra et démoraliser son armée, ou n’est-ce que paranoïa de ceux qui aiment le plus le prétendant, comme son vieux maître d’armes Nywulf ? Girton saura-t-il mener une enquête aussi sensible sans les conseils de Merela ? Et comment maîtrisera-t-il sa magie en plein développement alors que mêmes les runes de confinement sur son corps ne suffisent plus ? Devrait-il d’ailleurs la maîtriser alors que c’est l’opportunité de devenir l’homme le plus puissant de Maniyadoc, de se débarrasser de ses ennemis et de se venger des Gardiens égorgeurs et que le choix lui est offert ?
Vous le saurez en lisant ce deuxième volume plus noir, où R. J. Barker nous montre un Girton plus âgé, rendu plus amer et plus désabusé par ses errances et ses épreuves – il a même abandonné ses lames avec lesquelles il dansait mortellement et élégamment au profit d’un grossier marteau de guerre ! -, retournant vers son passé pour y retrouver des lieux et des hommes qui ont changé. Mais ont-ils vraiment changé, comme par exemple Aydor, le prétendant et ennemi haï par Girton ? Ce besoin d’appréhender et éventuellement de reconnaître et d’accepter l’évolution de chacun fait partie des aspects les plus intéressants du roman, ainsi que ses descriptions sans concession des horreurs d’une guerre sans pitié où certains se sont totalement déshumanisés – les Non-Hommes – et d’un quotidien sans grand espoir.
L’auteur nous livre là un roman magnifique, magistralement écrit, dont les dernières lignes nous font attendre avec une impatience difficile à maîtriser la traduction de la conclusion de cette trilogie, déjà sortie il y a quelques mois en Grande-Bretagne sous le titre King of Assassins.

Je viens de découvrir Jodi Taylor avec Un monde après l’autre (Hervé Chopin Editions), 1er volume des Chroniques de St Mary et j’adore : Madeleine Maxwell est une historienne brillante mais pleine de problèmes qui se retrouve embauchée à l’Institut St Mary où les recherches historiques ont lieu in situ car les recherches se font sur place à l’époque donnée, facile puisque le voyage dans le temps est le secret jalousement gardé de ce centre universitaire pas comme les autres. Sous la direction éclairée du Dr Edward Bairstow et de son efficace et glaciale assistante, Mme Partridge, et grâce aux recherches menées par le complètement fou et génial Pr Rapson, le Département technique dirigé par Leon Farrell – le Chef - réalise des prouesses pour envoyer l’équipe d’historiens à travers les âges, en suivant des règles extrêmement strictes (car l’Histoire, contrairement à ce qu’affirmait Dumas, n’aime pas se faire violer et se faire faire des enfants par des voyageurs temporels changeant son cours). Mais, petit à petit, « Max » va réaliser que tout n’est pas aussi idéal qu’il le semble : qui est vraiment Clive Ronan, cet homme qui dirige une équipe de mercenaires pour tirer profit des voyages temporels qu’il maîtrise aussi et quels sont ses rapports avec les dirigeants de St Mary ? Au cours de voyages « agités » (en particulier au Crétacé), Max va découvrir, à la dure, les réponses à certaines de ses questions et les difficultés de l’amour…

Dans le deuxième volume, D’Echo en Echos (toujours chez Hervé Chopin Editions), Madeleine Maxwell, maintenant directrice des opérations, va devoir remotiver les survivants de St Mary et surtout développer le nombre d’historiens de St Mary.
Quoi de mieux pour cela que des missions sympathiques comme aller sauver des dodos de l’extinction (mais le méritent-ils ?) ; en revanche, aller à Londres la nuit du dernier crime de Jack l’Eventreur n’est pas forcément une bonne idée, et que dire de la découverte de cette pièce de Shakespeare où c’est Marie Stuart qui devient reine et Elizabeth qui est exécutée ? Madeleine va avoir fort à faire pour démêler cet imbroglio, d’autant plus que Ronan, cet échappé du futur, est toujours décidé à faire disparaître l’Institut et que, étant partie prenante de l’Histoire, il faut faire avec lui car Clio, la Muse de l’Histoire, et son incarnation, est là pour en surveiller le bon déroulement et s’assurer que toute entorse à celle-ci est corrigée (y compris par une non intervention active de sa part… comme pourra s’en apercevoir Max : l’Histoire a sans doute été formée par les jésuites !). Malgré, ou à cause de, ses doutes sur ses propres capacités, Madeleine, aidée par le Dr Bairstow, son assistante la toujours efficace et toujours aussi énigmatique Mme Partridge, le Chef Farrell (avec qui Madeleine entretient une relation compliquée et tumultueuse), et le reste des équipes, va faire le travail, et bien le faire, en dépit des embûches temporelles diverses.

Intrigues fouillées et voyages temporels, « méchants » attachants, psychologie des personnages très réussie, sens du détail juste et ambiances historiques bien recréées, la bonne dose d’humour britannique et force tasses de thé, voilà deux volumes passionnants à lire, on attend la suite avec impatience (10 tomes à succès en anglais déjà sortis !).

Albin Michel a lancé il y a quelques semaines, sous la direction de Gilles Dumay, une nouvelle collection appelée tout simplement Imaginaire, dans laquelle est parue le diptyque Mage de bataille, de Peter A. Flannery : Falco Danté, fils d’un mage de bataille (des mages puissants qui, avec l’aide de dragons, protègent les armées sous leur responsabilité contre les légions du Mal) qui a tué ses alliés en défendant son dragon devenu noir (fou), est un garçon chétif et timoré, élevé par un ami de son père, Siméon. L’arrivée d’une armée de Possédés (dont le chef, un démon surpuissant nommé Marchio Dolor, vient tout droit des Enfers) va le forcer à fuir avec toute sa ville et à commencer à découvrir ses pouvoirs (il a commencé en faisant une grosse bêtise dont je vous laisse découvrir la teneur et qui va, à juste titre, le traumatiser pendant le roman). Il entrera à l’académie de guerre avec son meilleur ami, Malaki de Vane, forgeron et guerrier, grâce au personnage attachant qu’est Sir William d’Eltz, valeureux chevalier, émissaire et amoureux de la Reine Catherine de Clémonce, un homme tourmenté et noble au sens premier du terme. Flannery a su créer un environnement d’autres personnalités intéressantes qui contribueront, à travers leurs forces et leurs faiblesses, à aider, à soutenir et à former Falco, au premier rang desquels on trouve la petite équipe de sa chambrée à l’académie ainsi qu’Aurélian, le mage manchot et son vieux dragon blessé, et Nicolas le mage muet.

Ajoutons-y le rôle des ambitieux Thaumaturges sous la conduite de Galen Theall, qui veulent prendre le pouvoir partout, au risque d’entraîner leur monde vers sa perte (leurs motivations rajoutent une couche supplémentaire d’intérêt à l’intrigue) et celui de Mérédith Saker, un jeune Thaumaturge, lui-même en cours de formation, qui va aider Falco et assurer sa préparation pour l’épreuve et l’appel du dragon : ce garçon va découvrir la vérité qui se cache derrière l’apparition des premiers Possédés – ces morts-vivants insensibles à la peur - et des dragons noirs. Qu’en fera-t-il alors que son père et Galen le poussent à penser à son avenir ?

Enfin, l’auteur a eu une excellente idée, celle de la peur qui envahit les combattants, dont il fait un traitement très détaillé et original car c’est d’elle que se servent les démons pour remporter leurs batailles, la seule protection étant un mage de bataille insensible à la peur.

Royaumes humains désunis aux dirigeants pourris ou intègres, quête de soi, amis fidèles dont la force vient de leur entente – Bryna, jeune noble qui hérite des Dalwhinnies, corps d’archers ivrognes et indisciplinés qu’elle va transformer -, dragons et monstres démoniaques, batailles épiques et revers terribles, trahisons et amours contrariées ou qui s’épanouissent, Mage de bataille présente un beau récit de fantasy traditionnelle, il y a dedans tout ce que nous aimons en la matière et Flannery sait en tirer un beau roman qui tient en haleine, bien traduit par Patrice Louinet. A lire par tous les amateurs de bonne fantasy classique, bien construite et bien écrite !

Parmi mes découvertes récentes, il y a Sébastien de Castell, avec L’Anti-magicien tome 1 et L’Ombre au noir tome 2 (Gallimard Jeunesse) : le jeune Kelen, issu d’une grande famille de magiciens, n’a pas de pouvoir en dépit des potions que ses parents lui administrent depuis sa plus tendre enfance. Du coup il va tricher à son examen, sera découvert et devra s’enfuir, aidé de Furia, une vagabonde étrange, et d’un chacureuil, Rakis, vantard et féroce. Atteint d’une maladie terrible, « l’Ombre au Noir », il devra trouver un remède, s’il y en a un, dans les terres sauvages de la Frontière.
Au cours de ces deux premiers volumes, outre des territoires étranges et des personnages qui le sont tout autant, il découvrira la vérité sur son absence de pouvoir et sur ce qu’est l’Ombre au Noir, et reniera ses parents, au grand déchirement de sa sœur Shalla, surdouée de la magie et qui l’adore.

L’intrigue est passionnante, avec ce qu’il faut de noirceur et de désespoir pour rendre Kelen sympathique en dépit de tout. De Castell a su créer un univers intéressant, avec une intrigue innovante, deux volumes à découvrir.

Je pense qu’il n’est nul besoin de présenter ici l’un des chefs d’œuvre littéraires de Robert E. Howard, je veux parler, bien entendu, de Conan. Le Livre de Poche a eu la bonne idée de sortir sous le titre Le Cimmérien le premier volume de la trilogie, ainsi que le deuxième, L’Heure du dragon, dans les excellentes traductions de Patrice Louinet, expert mondialement reconnu de Howard, dont les connaissances en la matière ont contribué au rendu en français de la prose howardienne, sans parler de ses deux introductions qui sont des bonus supplémentaires.
J’ajouterai que le premier volume est très joliment illustré par Mark Schultz, dont les dessins au trait très fin en noir et blanc ont saisi l’esprit des pulps tout en le mettant au goût d’aujourd’hui, bref une belle réussite, autant d’ailleurs que le deuxième, illustré par Gary Gianni, style légèrement différent mais tout aussi attractif. Quant aux couvertures, elles en surprendront plus d’un : fini les couvertures – au demeurant fort belles – à la Frazetta, abandonnées pour un dessin sobre sur fond monochrome (épées puis serpents) qui sied fort bien au format poche et attirera sans doute un nouveau lectorat. Il ne faut surtout pas se priver de relire Conan dans cette édition, d’autant plus que le troisième volume de la trilogie sortira rapidement, à l’automne.

Je vous ai vanté ici les mérites de Rebecca Kean, la belle série d’urban fantasy de Cassandra O’Donnell. Après avoir écrit pour les plus jeunes l’excellente série Malenfer, elle change à nouveau de classe d’âge en nous proposant pour les adolescents les deux premiers tomes de La Légende des Quatre, à savoir Le Clan des Loups et Le Clan des Tigres (Flammarion Jeunesse) : nous sommes dans un futur plus ou moins lointain, sur une Terre ravagée, où ne subsistent que quelques (petits) territoires avec des humains survivants. Ces terres sont entourées et surveillées par quatre clans de métamorphes, des Yokaïs, tout puissants (Loups, Tiges, Aigles, Serpents). Ceux-ci veillent à empêcher les hommes de recommencer les mêmes erreurs et de finir de détruire la planète. Afin de combattre le mépris dans lequel sont tenus les humains par les membres des clans et la peur suscités par ceux-ci chez les hommes, sans parler de maintenir la paix précaire entre les clans, les quatre héritiers présomptifs sont envoyés dans une école unique où sont mélangés humains et métamorphes. C’est là que vont faire connaissance les jeunes Maya (Loup), Bregan (Tigre), Nel (Aigle) et Wan (Serpent), et leurs amis, qui vont se retrouver alliés de circonstance face à un complot monté par les humains du mouvement de résistance « Résilience », en utilisant les connaissances et surtout les armes interdites des dangereuses terres mortes.Ouverture d’esprit de la jeunesse face au conservatisme des plus âgés, manque de vision à long terme, absence de dialogue et de compréhension de l’autre, remise en cause des traditions établies qui n’ont plus de raison d’être, sens des responsabilités et amours naissantes interdites – voilà qui nous rappelle furieusement aussi des situations actuelles ce qui permet à l’auteur de passer avec finesse des messages bien nécessaires -, Cassandra O’Donnell met tout cela en scène avec son brio habituel, dans des aventures pleines de rebondissements, avec une psychologie des adolescents qui devrait parler à ceux-ci et les intéresser (mais ces romans se laissent lire aussi avec plaisir par les plus âgés).

Avec L’Ours et le Rossignol (Lunes d’encre), de Katherine Arden, nous sommes transportés à l’époque où la Russie n’existe pas encore et où les grands-princes, dont celui de Moscou, et les boyards payent toujours tribut au Khan des Tatars. La fille cadette de Piotr Vladimirovitch, grand propriétaire terrien au milieu de l’immense forêt sauvage au nord de Moscou, Vassia, garçon manqué, vit heureuse avec son père et ses frères et sœur ainsi qu’avec les aimables lutins et autres créatures surnaturelles qu’elle est la seule à voir (un héritage de sa mère, Marina, elle-même fille d’une étrange princesse arrivée on ne sait d’où et épousée par le grand-prince Ivan Kalita, que son père a adoré et qui est morte à sa naissance), bercée par les nombreux contes que raconte la vieille Dounia, dont celui de Morozko, le roi démon de l’hiver. Mais lorsqu’elle se perdra dans la forêt et rencontrera un mystérieux et effrayant homme borgne, elle sera sauvée par un homme étrange et froid. Ce sera le même qui, des années plus tard, remettra à Piotr, allé à Moscou pour se remarier et marier sa fille aînée et faire sa cour au grand-prince, un bijou magnifique pour Vassia, qu’il réclame pour lui. Dounia plaidera avec cet homme pour ne le lui remettre que lorsqu’elle sera plus grande, ce qu’il acceptera. La nouvelle femme de Piotr est une fanatique religieuse, qui voit les démons ce qui la rend folle, et pour des raisons politiques un nouveau prêtre sera envoyé chez Piotr, intrigant arriviste, prêcheur et peintre d’icônes extraordinaire. Les croyances anciennes vont donc reculer, les esprits domestiques et sauvages protecteurs dépérir, la misère et la peur envahir les villages. Nous suivons Vassia dans sa croissance et sa prise de conscience de ses dons et de sa féminité, alors qu’elle est en butte à la haine de sa belle-mère et à la montée en puissance d’un esprit mauvais dans la forêt. Katherine Arden a écrit un superbe conte, puisant dans le vieux fond folklorique de la Russie fraîchement évangélisée, où les vieilles croyances perdurent, où le fanatisme et l’intolérance religieux conduisent inéluctablement au malheur, nous donnant un récit poétique et pathétique car les esprits protecteurs sont détruits par le christianisme et donc les hommes créent leur propre malheur.
Très joliment, l’auteur met en parallèle les contes sur Morozko et les actions de celui-ci dans la vie de Vassia et des habitants des domaines de Piotr, contes dans lesquels celle-ci a appris à interagir avec toutes ces créatures, servie de plus par une volonté de fer, ce qui lui permettra à la fois de les sauver et d’aider son village. Et les paysages sont de toute beauté, que ce soient les immensités de la forêt recouvertes de neige ou la maison enchantée de Morozko ; la description des villages ou de la Moscou de l’époque, comme des costumes portés ou de la nourriture, témoignent des recherches historiques menées par l’auteur. Mettez-vous près du poêle d’argile, une coupe de kvas ou d’hydromel à la main, et laissez-vous emporter à Lesnaïa Zemlia, alors que la neige et le froid règnent sans partage sur les forêts !

Un nouvel auteur vient de faire son apparition dans le domaine du steampunk, avec un premier roman très réussi : Jean-Claude Renault, dans L’Héritage du docteur Moreau (2 volumes chez Nestiqvenen), nous entraîne dans un monde où, en 1895, l’invasion martienne centrée sur la Grande-Bretagne a réussi au point que toutes les communications avec celle-ci sont coupées. Pendant ce temps, le grand industriel de l’armement Krupp a développé une inquiétante collaboration avec un être surpuissant qui vit au fond d’une caverne et maîtrise l’énergie du vril (que tous les lecteurs de Lord Bulwer-Lytton connaissent bien) et, son influence sur le Kaiser grandissant, une guerre se profilerait-elle dans un proche avenir ? Heureusement qu’en France le célébrissime savant d’origine britannique, le docteur Moreau, s’est installé depuis des années, entouré de personnalités de premier plan comme l’ingénieur Robur ou sa chef de la sécurité, une certain Lucy Westenra qui bénéficie de capacités physiques hors du commun, développant grâce à sa Compagnie des Intelligences Botaniques – vous comprendrez en lisant le roman d’où vient ce nom - nombre d’inventions révolutionnaires qui permettent à la République de faire face à ces nombreuses menaces, d’autant plus qu’une pléiade d’esprits brillants comme Bertillon, le commissaire spécial de la Sûreté Célestin Hennion (créateur des Brigades du Tigre mais aussi ici de la Brigade spéciale chargée des affaires extraordinaires, et Dieu sait qu’il y en a !) assisté de l’inspecteur Alexandre Cantovella ou l’officier de marine Armand de Kergaz joignent leurs efforts pour combattre sur tous les fronts, à partir de ce centre névralgique qu’est Paris, un Paris recouvert d’un vortex effrayant, centré sur la tour Eiffel. Si l’on ajoute que la mafia calabraise joue un rôle important et que M. H. G. Wells va rencontrer Jared Cornelian, plus nombre d’autres personnages réels ou littéraires qui ont un rôle plus ou moins important dans les combats présents et à venir qui se développent dans le roman, vous comprendrez que Jean-Claude Renault a commis un tour de force littéraire remarquable, mêlant diverses intrigues en un « crossover » brillant et rempli de clins d’œil (j’ai beaucoup aimé ceux avec Marie Sklodowska).
Il m’est difficile, vu la richesse du roman, de vous en dire beaucoup sans spoiler mais, si vous aimez la fin du XIXème siècle et ses hommes et ses femmes brillants, si vous aimez les rôles parfois à contre-emploi mais toujours crédibles tout en étant surprenants, si vous aimez le steampunk, la science et l’occultisme, alors ce livre est fait pour vous et, comme moi, il vous sera impossible de le reposer avant de l’avoir fini.

Vous connaissez le très bon auteur de la série de fantasy L’Agent des Ombres, Michel Robert : celui-ci a décidé de s’attaquer à un domaine un peu oublié, celui du « weird western », et il le fait avec son talent habituel. Le résultat est le premier volume de Largo Callahan, intitulé Six petites gouttes de sang Partie 1 (Fleuve Noir). Largo Callahan est un jeune métis irlando-apache, accepté ni par les uns ni par les autres : il a donc quitté sa tribu très jeune, en y laissant sa sœur devenue guérisseuse, et, aidé en cela par ses yeux couleur de saphir hérités de son père, il a intégré le monde des Blancs, vivant de rapines avec le petit gang qu’il dirige. Après avoir retrouvé la trace du commanditaire de l’assassinat de son père tout en réalisant un vol d’armes de manière parfaite, il va se retrouver dans une situation critique et, pour se refaire, il va accepter les mystérieuses missions, a priori fort simples et grassement rémunérées -ce qui est quand même louche -, d’une jeune comtesse italienne énigmatique, dont il a sauvé la vertu en abattant les bandits mexicains qui l’avait enlevé : elle est venue en Amérique pour restaurer l’honneur bafoué de sa famille, en lutte avec plusieurs autres familles rivales du Vieux Monde. Entre les croyances traditionnelles et les prémonitions de sa sœur qu’il a promis d’écouter, les menaces à peine voilées des marshalls américains, la vengeances des « policiers » mexicains, les Rurales, et celle des Comancheros, Largo et son gang vont se retrouver fort occupés, et les résultats des premières missions pour la comtesse ne vont rien arranger…
Michel Robert a écrit là un récit fort et prenant, dont la première moitié est un western classique, plantant le décor (manifestement l‘auteur connaît bien l’Ouest américain, particulièrement du côté d’El Paso, à la fin des années 1870 et au début 1880, et ses descriptions sonnent toujours juste) et posant les personnages, en particulier celui, torturé psychologiquement, de Largo, mais aussi ceux de ses compagnons, le prêcheur tueur, les frères un peu demeurés venus de leurs bayous, le Français cultivé tireur d’élite et le second de Largo, Mexicain débrouillard et dévoué. L’auteur fait déraper lentement mais sûrement le récit, nous entraînant avec Largo vers un irrationnel qui prend de plus en plus de force : le « cliff hanger » de la dernière page de ce premier volume est proprement insoutenable et digne d’un serial des années 1930 – c’est là un compliment de ma part à Michel Robert que d’avoir su retrouver cette atmosphère frénétique qui caractérisait ces feuilletons cinématographiques et leur conférait un charme indéniable -, l’attente va être insupportable jusqu’à la parution de la « Partie 2 ».

Didier Tarquin et Lyse Tarquin, avec U.C.C. Dolores : La trace des nouveaux pionniers (Glénat 50 ans d’éditions), ont conçu un très bel album : sœur Mony, de l’Eglise des Nouveaux Pionniers, a atteint ses 18 ans. Orpheline abandonnée tout bébé, elle doit quitter le couvent qui l’a recueilli et elle reçoit de la mère supérieure son héritage, une boîte contenant une clé d’entrepôt. Elle trouve dans celui-ci un magnifique vaisseau de combat pirate confédéré, le « Dolores », qui lui a été laissé par son père, le général rebelle et pirate célèbre Mc Monroe. Accompagné de Kash, tueur de robots à mains nues, alcoolique et pilote, et de Tork, mécano du « Dolores » réveillé d’hibernation, elle va partir à la recherche de son héritage alors que pirates confédérés et gardes de l’Église sont à ses trousses… Scénario et dessin très réussis font de ce premier tome une lecture incontournable.

Frédéric Landragin, dans Comment parler à un alien. Langage et linguistique dans la science-fiction (Le Bélial), nous explique pas à pas ce qu’est la linguistique, le rapport entre les études des langages que nous connaissons et les possibles langages extra-terrestres (en utilisant des exemples tirés de certains romans et séries télévisées) ou comment appliquer ceux-ci à une langue totalement différente et inconnue, et donc comment nous pourrions communiquer en évitant de déclencher une guerre galactique… Tout à fait intéressant et se mettant à la portée des ignares en linguistique comme moi et sans doute vous, voilà une lecture passionnante qui permet de répondre à une question que nous nous sommes tous posés : comment communiquer avec des ET qui n’ont pas le bon goût de parler couramment l’anglais (comme ils le font, sans explication, dans la plupart des romans et films).

                                                                                                                                     Jean-Luc Riveira

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