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Pourquoi (re)lire Demain une oasis d'Ayerdhal
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Pourquoi (re)lire Demain une oasis d'Ayerdhal

Demain une oasis est un des grands classiques d’Ayerdhal et de la science-fiction française toute entière. Aujourd'hui on vous donne quelques bonnes raisons de le lire ou de le relire.

Un médecin de l'OMS de Genève, responsable sanitaire de l'agence spéciale avait un nom. Il n'en a plus : on le lui a retiré un soir, avec le reste de son existence. Une limousine devant, une derrière, un coup de freins, des portières qui claquent, un pistolet-mitrailleur, deux baffes bien assénées, une cagoule, des jours dans une cave sous perfusion et somnifères... Normal pour un kidnapping !
A son réveil, il se retrouve quelque part dans un village du désert africain, à côté d'un vieillard gravement gangrené. Un commando humanitaire lui confie la responsabilité médicale du village et l’abandonne. L’Interne a un nouveau nom et une mission qui va changer sa vie.

Sécheresse, famine, terrorisme, justice, sens de la vie…

La première édition avec Illustration de Gilles Francescano

Ayerdhal

L’auteur est né à Lyon en 1959. Il exerce de nombreux jobs avant d’envoyer à 28 ans, son premier manuscrit, celui de La Bohème et l'Ivraie (1990) à un éditeur, en l'occurrence le Fleuve Noir. Trois ans plus tard, il décroche le Grand Prix de l'imaginaire avec Demain une oasis (1993), première d'une longue série de récompenses.

Photo de Camille Douay aimablement prêtée par Sara Doke

Il signera par la suite d’autres dystopies ainsi que des space operas, sous forme de romans ou de nouvelles. Dans les années 1990, ses ouvrages participent largement au renouveau de la science-fiction française. Les quatre mains d’Ayerdhal et Jean-Claude Dunyach écrivent notamment Etoiles mourantes en 2005.

Transparences (Grand Prix de l’imaginaire et prix Michel-Lebrun), publiée en 2004, marque son entrée dans le domaine du thriller.

Ayerdhal a toujours revendiqué son engagement politique en refusant de sacrifier son travail de romancier. Dans cette optique, la science-fiction lui offre un magnifique terrain d’expérimentation.

En 25 ans, il a entre autres obtenu deux grand prix de l'Imaginaire, deux prix Ozone, un prix Tour Eiffel de science-fiction, un prix Michel-Lebrun, un prix Bob-Morane, un prix Rosny aîné et un prix Cyrano pour l'ensemble de son œuvre et de ses actions en faveur des auteurs. Pour sa première édition, le prix Ayerdhal 2020 a été décerné à Jean-Marc Ligny pour l'ensemble de sa carrière et de ses écrits.

Militant de la cause des auteurs, Ayerdhal fonde en octobre 2000 le collectif « Le droit du Serf » pour faire respecter leur droit à jouir décemment de leurs œuvres : défense du prêt gratuit, travail sur les contrats d'édition, particulièrement en matière numérique…

Son nom a été donné à l'astéroïde (434453) Ayerdhal. Il meurt des suites d'un cancer à l'âge de cinquante-six ans.

 

Alors pourquoi (re)lire Demain une oasis aujourd’hui ?

Le lecteur contemporain peut s’interroger sur les raisons qui peuvent le pousser à se plonger dans un roman de science-fiction publié en 1992 pour la première fois.

Ayerdhal nous fait découvrir dès son premier livre La Bohème et l’Ivraie ce qui va faire sa patte. Il écrira la plupart du temps des romans engagés, politiques, intelligents, où le cynisme et la révolte peuvent vous prendre aux tripes et où l’humour (parfois noir) n’est pas très loin. Il y aura pléthores de rebondissements, d’actions, d’adrénaline mais aussi un ensemble de réflexions pour que les lecteurs échangent, prennent conscience. Son écriture sera incisive, son rythme soutenu. C’est dans Demain une oasis qu’on s’en rend compte vraiment pour la première fois. Ayerdhal a 33 ans ! La plupart des critiques diront plus tard que ce roman est une œuvre visionnaire.

Demain une oasis : une dystopie ?

De anti-héros à héros du quotidien après bien des souffrances, des questionnements, des remises en question, l’Interne se retrouve au cœur d’un machine qu’il est bien obligé d’appeler terrorisme humanitaire. Et nous avec. Il est plongé de force d’abord, puis toute honte bue, avec son assentiment, dans une force de frappe peu commune. Dziiya est à la tête d’un groupe, lié à la vie à la mort, par le kidnapping, le vol, le détournement, la violence, le mensonge. « J’ai tout de suite vu qu’elle s’était refait une peau et que celle-ci était à l’épreuve des balles. Grande, complètement dépilée, le visage verrouillé, la maigreur trompeuse sur une musculature très longue, pieds nus sur la roche brûlante…».

Parce qu’il n’y a pas assez de volontaires, elle impose sa volonté par tous les moyens nécessaires. Son idée : «d’abord, on nourrit les affamés, on soigne les malades, on loge les sans-abris, après on pourra peut-être envisager de fournir la télévision à tout le monde, ici comme ailleurs. »

Parce que la Terre met les moyens pour aller sur Mars ou Venus, que les régimes en place n’ont comme priorité que le profit, au détriment de l’aide qu’ils pourraient apporter aux plus démunis, Demain une oasis est un réquisitoire en règle contre l’ordre établi, la quête de privilèges, le besoin de puissance, l’abandon des pays pauvres et des hommes en état de détresse totale.

Mais l’auteur est catégorique et par le truchement de l’Interne nous assène que la fin ne justifie pas les moyens. Et nous nous demandons avec lui si tomber dans l’illégalité pour sauver les plus démunis, voire une nation est inéluctable. Vaste problématique, toujours d’actualité. Et qui ne touche pas forcément aujourd’hui que les pays africains désertiques de la zone subsaharienne.

Demain une oasis : une utopie ?

Il y a dans les actions de Dziiya et de son équipe un plan mûrement réfléchi, la volonté de mettre en place une société plus juste, mais surtout une forme de lutte contre la famine, la sécheresse, la pauvreté. Il faut lutter, faire la « soudure », durer un peu plus, quitte à vouloir domestiquer la terre, la faire reverdir.

L’Interne nous raconte son histoire. Il nous fait vivre ses doutes. Mais une chose est sure. Il y a d’autres moyens d’action que la noirceur de ce qui se passe sous la houlette du commando pour avancer.

Par le truchement de l’Interne, Ayerdhal nous demande si « une mondialisation politique, une idéologie globaliste non partisane » ne nous rendrait pas une forme d’humanisme.

Il met à l’œuvre dans un petit coin d’Afrique une communauté autarcique qui tente d’échapper à la loi du marché et du plus fort, expérimente une solution au service des plus démunis. Et lorsqu'un membre du gouvernement montre le chemin, l’oasis n’est pas loin.

Ne serait-ce pas plutôt alors une contre-utopie qui est à l’œuvre ? Les mots sont des scalpels, l’écriture est sèche, précise, la dénonciation sans concession, notamment face aux barbouzes qui tourmentent l’Interne et les autres à chaque arrestation, mais il faut bien tout ça pour ne pas oublier notre société individualiste et l’égoïsme de tout un chacun.

Demain une oasis : vers une uchronie ?

Si les révoltes avaient porté leurs fruits, si les camps de réfugiés avaient vraiment été réduits aux solutions d’extrême urgence, si le changement climatique avait depuis longtemps été une préoccupation de tous, si la conjugaison des efforts au niveau international pour lutter contre les épidémies avaient été une simple affaire de bon sens, ce livre nous raconterait une autre Histoire.

C’est ce progrès là que l’auteur nous donne à espérer. Mais c’est notre libre arbitre qui nous mettra sur la route.

En guise de conclusion :

Si ce livre est toujours aussi bon à dévorer, c’est aussi parce que c’est une histoire d’amours au pluriel. Il y les pieds dans le sable et l’âme du désert, l’affection de l’Interne pour le groupe et la passion de celui-ci pour trois femmes : l’amitié amoureuse avec Marité, l’attraction flamboyante pour Dziiya et l’amour avec Tatiana.

Et pour aller plus loin :

  • Rainbow Warriors: l’auteur y mélange Afrique, humour, politique, et crée une armée de libération d’un petit pays soumis à la dictature presque exclusivement constituée de LGBT. A découvrir !

  • Chroniques d’un rêve enclavé: "On ne bâtit rien sur le désespoir, fors la haine, mais avec la colère et l'usure des souffrances qui se répètent, avec la faim et la peur du lendemain, avec nos seuls coudes serrés pour nous tenir chaud, et nos larmes en écho, et nos rires enfuis, un jour, avec juste ça, entre hommes et femmes, nous n'aurons plus besoin que d'un rêve pour nous éveiller." Parleur, vagabond visionnaire, parviendra-t-il à leur faire franchir les murs de la Colline ? A redécouvrir.

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