Ce matin, André-François Ruaud revient sur les dernières publications des Moutons Électriques, des écotopies.
Mais qu'est-ce qu'une écotopie ?
Actusf : En 2021, les Moutons électriques ont publié différentes « écotopies ». Qu’est-ce ? Comment définiriez-vous ce genre ?
André-François Ruaud : C’est bien simple, il s’agit des utopies écologistes. Le terme d’utopie désigne divers types de récits, depuis les cités statiques de l’âge classique jusqu’aux turbulentes projections sociales de notre époque, et le terme « écotopies » s’est imposé depuis longtemps, depuis la sortie du roman fondateur Écotopia d’Ernest Callenbach, qui a été retraduit en France il y a quelques années et qui rencontre un joli succès me suis-je laissé dire chez Folio-SF. Mais Callenbach n’est pas le seul auteur du genre, bien loin s’en faut : Mermère d’Ugo Verlomme, réédité chez Actusf, est un autre exemple de succès historique de ce type d’inspiration littéraire fortement teintée de valeurs d’espoir et de politique environnementaliste.
Actusf : Qu’est-ce qui vous attire dans ces récits ? La plume, le message ? Abordent-ils des thématiques qui vous touchent particulièrement ? Lesquelles ?
André-François Ruaud : Je suis amateur de longue date de ces récits-là, étant un enfant des années 1970 où ils fleurirent particulièrement. Je suppose que ma jeunesse dans l’une des « villes nouvelles » rêvées par l’ère Pompidou m’a un peu formé à cela, car il s’agissait aussi d’une forte aspiration utopique, d’une nouvelle forme de cité et de recherches architecturales. L’écologie perçait également en France, j’ai lu la revue La Gueule ouverte, le roman graphique de Gébé L’An 01 (grande utopie !) fut l’un de mes premiers grands chocs livresques, plus tard j’ai un peu milité au sein des Amis de la Terre : bref, les thématiques alliant réflexions sociétales, soucis environnementaux, aspirations pacifistes, prépondérance de l’art au sein du monde, construction d’autres modèles de vie… Tout cela me fascine depuis tout ce temps, et avant même la crise épouvantable que nous vivons actuellement, cette pandémie et cet effondrement démocratique, j’avais envie avec mon équipe d’un peu changer notre politique éditoriale, de revenir notamment à la SF mais selon des angles plus « solaires » que la chape de la dystopie et l’énervement militariste qui sévissent tellement dans ce genre. Et quoi de plus d’actualité de nos jours que l’écologie, le climat, la nécessité d’une société meilleure ? Nous aurions du « étaler » nos parutions écotopiques et puis, réaménagement oblige suite à la crise, c’est sur 2021 que se sont concentrés toutes nos parutions du genre : des « envies d’utopie » !
Actusf : Comment avez-vous sélectionné les œuvres que vous souhaitiez publier ?
André-François Ruaud : Eh bien, en réalité nous lorgnions sur le Kim Stanley Robinson inédit (Pacific Edge) depuis la fondation de notre maison d’édition ! Restait à trouver à la fois un traducteur vaillant (nous avons essuyé plusieurs refus) et une opportunité de publication. Quant aux autres titres, ils sont venus très naturellement : The City Not Long After de Pat Murphy était un autre de ces titres que j’avais envie de longue date de proposer au lectorat francophone. Il y a comme cela des « pépites » superbes qui ont échappé aux éditeurs habituels de traductions. Transit de Pierre Pelot et L’Univers-ombre de Michel Jeury, c’était deux de mes lectures de jeunesse, deux éblouissements d’alors qui s’avèrent toujours d’une force narrative et d’une pertinence incroyables, en acquérir les droits fut une très grande joie : devenir leur éditeur, c’est incroyable ! D’autres projets sont venus s’agglomérer à ce programme : La Fête du changement de Michel Jeury aussi, illustrée par Greg Vezon, belle occasion de redécouvrir sous une forme graphique cette splendide novella. Le Pacte des esclavagistes de Rémy Gallart & Roland C. Wagner, roman presque inédit, plein d’une pulsion vers l’utopie là encore, comment ne pas le proposer en cette fin d’année ? Et La Sirène de l’espace de Michel Pagel, lumineux space opera pacifiste, enfin redécouvert ! Quant à L’Œil du héron d’Ursula Le Guin, encore une belle opportunité saisie : publier un titre de cette grande autrice, c’est assez renversant.
Actusf : Pouvez-vous nous présenter vos toutes dernières publications ? Je pense notamment à Lisière du Pacifique de Kim Stanley Robinson ?
André-François Ruaud : Quand on pense qu’un roman aussi majeur, aussi captivant et intelligent, fut refusé par les deux éditeurs français de l’auteur, à l’époque… c’est fou. Refus très politique assurément, car le propos de Robinson est écologiste, bien entendu ; mais sans le moindre aspect de « pamphlet », bien au contraire : c’est même l’un des textes les plus littéraires de l’auteur, avec un niveau de langue de toute beauté. On se trouve là au bord du polar, somme toute, dans une société californienne qui a effectué plus ou moins sa transition écologique mais où tensions sociales et voracités des affaires n’ont pas véritablement changées. Un grand roman, avec des personnages forts et attachants, et un « sens du réel » formidable.
Actusf : Quelles sont vos prochaines sorties en « écotopies » ?
André-François Ruaud : Outre le Gallart / Wagner évoqué plus haut, nous bossons sur un beau recueil, il y aura aussi l’anthologie du deuxième festival Hypermondes qui justement prendra comme sujet les utopies, et puis nous souhaitons toujours acheter le roman d’une amie américaine, encore un exemple de ces perles oubliées qu’il nous faut proposer en France.
Actusf : Où pourrons-nous croiser les Moutons électriques dans les mois à venir ?
André-François Ruaud : Au festival Hypermondes, bien sûr : à Mérignac du 1er au 3 octobre, c’est à côté de Bordeaux et nous y serons en force, avec plein d’auteurs, un grand stand, des conférences : c’est important, la première édition d’un salon dans lequel nous sommes très engagés, il nous tient très à cœur. Et puis nous comptons sur les Rencontres de Sèvres, en fin d’année, également une fête. Voilà pour ce qui semble plus ou moins sûr.