Un reflet de lune d'Estelle Faye sort demain aux éditions ActuSF.
Et pour vous aider à patienter, on vous donne de bonnes raisons de le découvrir.
D’éclat en reflet : à la recherche de Chet
Un reflet de lune (Éditions ActuSF) propose une nouvelle aventure de Chet. Si c’est pour les lecteurs et lectrices l’occasion de découvrir encore un peu plus de ce Paris post-apo que nous décrit avec élégance Estelle Faye, on y retrouve aussi les ingrédients qui ont participé à la saveur du premier opus : Un éclat de givre. L’ambiance jazzy ; la poésie aussi tendre que décadente de cet univers ; ses lieux extravagants, des plus inquiétants comme la Petite Ceinture, peuplée de sa faune sauvage et anarchique, aux plus baroques comme les toits-terrasses sous la coupole de l’Opéra Garnier, en passant par les plus intimes, telle une soupente en désordre, ornée de son poster de Marcel Zanini. On y trouve enfin ses deux héros principaux : Paris, sa ville, qui loin de n’être qu’un décor, est un personnage à part entière qui s’incarne sous une nouvelle forme à chaque scène et, bien sûr, Chet. Mais qui est-il vraiment – et le sait-il seulement lui-même ?
Chet est amour. Chet est entier dans ses passions, hommes comme femmes, dont même les plus éphémères laissent des traces sur sa sensibilité à fleur de peau. Son amour est en pointillé, de Tess, son premier, à ses flirts du Jardin des Plantes, jusqu’à ses (trop) nombreuses conquêtes du Néo-Louvre et celles, enivrées et enivrantes, des clubs de jazz de sa ville.
Chet est Paris. Il est l’incarnation vivante de la cité-monde, une goutte de son sang, qui coule dans ses artères et dans ses rues. C’est pour cela qu’il connaît bien la ville – sa ville – et qu’il ne peut rester enfermé trop longtemps dans son appartement, au dernier étage d’un immeuble du Quartier Latin. Il a besoin de toucher de ses pieds nus l’asphalte crevassé des anciens boulevards, de sentir l’odeur de vase de la Seine en crue, de poser ses yeux brouillés d’alcool sur l’Eiffel rafistolée et sur le lagon grouillant de vie du Trocadéro.
Chet est nuit. Celle qui s’allonge jusqu’à faire du public ses amants et ses amantes anonymes. Celle qui commence sur une scène par le flirt d’une chanson et qui se termine dans la nausée et le brouillard d’un bar souterrain, enfumé de cigarettes. Celle de son âme, bordée de sourires dont il n’a pas retenu les noms, ou d’une peau dont, au contraire, il aurait préféré ne pas se souvenir. Ou encore le visage d’un Galaad dont il ne sait plus vraiment si c’est un rêve ou un cauchemar.
Chet est nostalgie, celle d’un monde balayé entre la canicule et les pluies incessantes. Il est la voix d’un jazz que l’on n’écoute plus que dans les caves inondées de la ville. Il est le portrait de ces films d’avant l’Apocalypse, aux bandes incomplètes, mais dont les images floues montrent un incroyable monde vert au ciel bleu. Chet incarne les mots de ces livres, aux couvertures usées, qu’il emprunte aux archives de la Sorbonne. Ces ouvrages lui ressemblent parfois un peu trop : il leur manque des pages, tels les souvenirs perdus d’une nuit d’ivresse. Alors, Chet doit se contenter de les imaginer.
Chet est amitié. Celle de Tess, son amour-haine qu’il cherche, tour à tour, à fuir ou à atteindre. Celle de Sybil, neuf ans et cheffe des Enfants Psys, qui l’exaspère parfois, mais qu’il espère souvent voir surgir pour l’extirper de ce pétrin qui lui colle comme une seconde peau. Celle de Paul, son flegmatique Sorbon, dont la porte est toujours ouverte et qui nettoie ses plaies au désinfectant. Celle de Damien, son musicien-et-un-peu-plus, qui soigne son âme à coups de chansons crachotées par des vinyles, dans son appartement trois-pièces avec vue.
Chet est Thaïs. Belle de vingt et quelques années, brune aux lèvres rouge cerise, à l’élégante robe dos nu lie-de-vin, ondulant sur sa paire de talons aiguilles à paillettes – la dernière qu’il lui reste. Thaïs est un éclat ivre, un rayon de lumière éphémère qui se perd quand Paris se réveille, plongée dans la canicule. Thaïs est un reflet de nue, à la voix sensuelle et au regard alourdi de khôl, dans lequel Chet veut se noyer en même temps que sa ville, inondée par une pluie sans fin.
Chet est enfin musique. Il a tout hérité d’elle : le nom et la sensibilité Straight From The Heart du trompettiste de jazz Chet Baker, le timbre de voix de Chris Connor et l’Empty Dream – un rêve pourtant bien rempli de souvenirs – de Youn Sun Nah. C’est aussi la musique du jazzman français Marcel Zanini, dont le célèbre tube Tu veux ou tu veux pas résume, à lui seul, l’hésitation permanente qui caractérise Chet, et dont il s’excuse d’un Blame It on My Youth avant de se réfugier dans sa Solitude avec Nat King Cole. Sans oublier Mary Had a Little Lamb, une comptine qui fait de Chet une perpétuelle victime, celle de sa ville, qui le sacrifie pour tenter d’apaiser les fléaux qui s’abattent sur elle.
Cette playlist s’achève par Rose Tint My World – « Le rose teinte mon univers » –, extraite du Rocky Horror Picture Show, célèbre comédie musicale déjantée dont Chet pourrait être l’un des protagonistes. Les paroles de cette chanson lui rappellent comment s’accepter totalement, dans ses grandeurs comme dans ses lâchetés, pour enfin réconcilier pleinement Chet et Thaïs : Don’t dream it, be it. Ne le rêve pas, vis-le.
Jean-Laurent Del Socorro