Dagon et autres nouvelles de terreur

Aucun amateur de littérature fantastique n'ignore plus aujourd'hui le nom d'Howard Phillips Lovecraft. Il fait désormais partie de ces Grands Anciens véritablement incontournables dont les œuvres séminales influencèrent, et continuent à influencer, d'innombrables générations d'auteurs au même titre que celles de Robert Howard, J. R. R. Tolkien ou Philip K. Dick. Les nombreuses études portant sur ses écrits, les textes basés sur ceux du reclus de providence, en particulier le mythe de Cthulhu, les innombrables ré-éditions de ses recueils de nouvelles témoignent de l'indéfectible popularité post-mortem dont jouit encore de nos jours cet homme qui ne fut publié de son vivant qu'en magazine. Dagon est un recueil de nouvelles qui, en France, en est à sa treizième édition depuis 1969...

Ia ïa fthang Eich Pi-El !

Autant le reconnaître d'emblée avec François Truchaud, spécialiste de Lovecraft et préfacier de Dagon, les nouvelles présentées ici ne sont pas les meilleures ni les plus célèbres du Maître. Nous sommes loin de La couleur tombée du ciel ou de Celui qui chuchotait dans les ténèbres. Un certain nombre d'entre elles sont cependant extrêmement plaisantes et représentatives de son style. Prisonnier des Pharaons est l'une de ces perles, une histoire écrite pour le fameux escapologiste Harry Houdini, et qui contient bon nombre des ingrédients lovecraftiens habituels : dieux abominables et indiciblement anciens, chute dans d'insondables gouffres chtoniens...
Si Cthulhu n'est pas cité, sa présence blasphématoire hante cependant certains textes comme Dagon. D'autres histoires sont également remarquables, comme Horreur à Red Hook, qui narre la découverte d'un culte impie dans un quartier sordide de New York, sinistre écho des quelques mois que Lovecraft y passa à l'époque de son bref mariage ; Herbert West, réanimateur, une suite de nouvelles qui constituent une plongée dans l'horreur au fil des expériences menées par deux médecins obsédés par leur projet dément de vaincre la mort...

Dans une veine moins ancrée dans le réel, nous trouvons également des nouvelles plus poétiques et dont l'ambiance onirique tourne bien entendu souvent au cauchemar, comme dans La quête d'Iranon, Polaris, Le bateau blanc, Celephais, Hypnos...

Dans les murs d'Eryx est une des dernières nouvelles de Lovecraft, écrite en 1935 en collaboration avec Kenneth Sterling et constitue un bel exemple de la SF de l'âge d'or. Sur Venus, un chercheur de minerai se retrouve prisonnier d'un labyrinthe invisible pendant que d'inquiétants autochtones observent sa lente agonie...

Le recueil se termine par divers fragments et compte-rendus de rêves ainsi qu'une série de nouvelles plus anecdotiques parmi lesquelles La bête dans la caverne et L'alchimiste, écrites alors qu'HPL était encore adolescent...

Lovecraft, le rêveur cosmique.

Malgré les défauts de ce recueil, tout Lovecraft est là,  ses obsessions, sa fascination pour le passé, la quête de l'immortalité, l'invasion de la réalité par le rêve... Rien de plus éprouvant pour un lecteur qu'une histoire qui se termine par un poncif du type ...mais ce n'était qu'un rêve. Lovecraft parvient à en prendre systématiquement le contrepied sans jamais lasser, laissant entendre qu'il va enfin se passer quelque chose capable de transcender notre morne réalité. L'aventure, aussi affreuse soit-elle, se trouve finalement au coin de la rue, et les visions de ses personnages pourraient aussi bien se conclure par ...et cet abominable cauchemar était réel ! Car pour HPL la vie quotidienne possède un sens caché que seule une élite hypersensible est en mesure de percevoir. Qui sait ce qui fait hurler les chiens, après la tombée de la nuit ? Nous retrouvons aussi dans Dagon ce vocabulaire outré que certains lui ont reproché mais dont la surabondance constitue l'un des ingrédients indispensables à la magie de ses textes : immonde, abject, hideux, innommable, blasphématoire, et le Nécronomicon, les manuscrits pnakotiques, Kadath...

Panorama couvrant toute la carrière de l'auteur, bien que ses plus grandes nouvelles n'y figurent pas, Dagon mérite cependant sa place sur les rayonnages des meilleures bibliothèques si l'on ne possède déjà l'intégrale de Lovecraft. Le lecteur plus économe se demandera cependant pour quelle raison il devrait acheter un couteux ouvrage en grand format alors qu'il peut encore facilement se le procurer dans une édition de poche puisque la dernière date de 2007... La réponse tient en deux arguments : pour l'intéressante préface de François Truchaud, éminent spécialiste de Lovecraft, et ensuite pour une réorganisation du sommaire plus conforme à celui de l'édition originale américaine de 1965 (moins quelques nouvelles...) Nous trouverons donc d'abord une série de nouvelles classées dans l'ordre chronologique de leur rédaction, puis un second lot de nouvelles de jeunesse et de fragments divers. Ajoutons pour conclure que pour une découverte de Lovecraft, on pourra se contenter de la lecture des premiers textes, qui sont les meilleurs, les seconds n'intéresseront probablement que l'exégète et l'admirateur fanatique.