L'avènement des chats quantiques

Homme aux multiples talents, Frederik Pohl est l'un des personnages incontournables de l'histoire de la science fiction depuis les années trente. S'il a dirigé les plus grandes revues du genre (Galaxy, Astounding stories...), il est également bien connu pour ses œuvres en duo avec Jack Williamson ou Cyril Kornblut, avec qui il a écrit le formidable et toujours actuel Planète à gogo, véritable réquisitoire contre une société de consommation qui montrait déjà, dans les années cinquante, une insolente vigueur. Ancien membre du parti communiste américain en des temps où l'on ne prenait pas ce type d'engagement à la légère, l'aspect politique et social de ses textes est fréquemment mis en relief par l'humour subversif dont il fait souvent preuve. Son œuvre solo des années soixante-dix s'orne également d'admirables fleurons parmi lesquels nous retiendrons plus particulièrement Homme plus et La grande porte. Toujours très actif, Frederik Pohl continue à écrire et alimente régulièrement son blog de souvenirs.

 

 

L'histoire débute sur un ton goguenard avec les déboires d'un spécialiste en prêts hypothécaires, Dominic DeSota, aux prises avec les excès des lois islamiques en vigueur sur le territoire des États-Unis d'Amérique. Mais lorsque le F.B.I. s'en mêle, jurer son innocence sur le Coran ne lui sera pas d'un grand secours puisque c'est bien lui qui a récemment tenté de pénétrer dans un laboratoire ultra-secret de l'armée. Seulement, ce lui est un autre Dominic DeSota venu d'un univers parallèle. Et le chaos augmente encore lorsqu'un troisième alter ego, le sénateur Dominic DeSota, fait son apparition dans l'histoire, suivi par celle du commandant Dominic DeSota... L'étanchéité des différentes lignes temporelles semble laisser à désirer et l'entropie menace de contaminer un multivers qui n'avait pas besoin de ça... Ou peut-être que si, après tout !

 

 

Nanti d'une expérience considérable dans tous les domaines touchant de près ou de loin à la science-fiction, Frederik Pohl connait assurément toutes les ficelles qui permettent d'écrire une bonne histoire. Dans L'avènement des chats quantiques, il nous donne la preuve éclatante de son savoir-faire avec un véritable festival d'effets de surprise qui ponctuent un scénario impeccable en dépit de la difficulté que pouvait représenter la gestion simultanée d'un certain nombre de mondes parallèles. Les personnages principaux y sont peu nombreux mais se trouvent démultipliés par le jeu de miroirs déformants d'une galerie des glaces cosmique. La question que pose alors l'auteur avec un soupçon de cruauté est de savoir ce que nous serions devenus si, à un moment donné de notre vie, nous avions choisi une autre route : un être humain accompli ou un loser pathétique ? Comme les personnages du roman vont s'efforcer de le démontrer avec plus ou moins de succès, ces choix ne sont jamais définitifs et il est toujours possible, sinon de retourner avantageusement la situation, du moins de l'améliorer considérablement. Si les univers alternatifs nous fascinent autant, ce n'est pas seulement parce qu'ils recèlent la promesse d'autres mondes, mais parce qu'ils contiennent aussi la possibilité d'un autre soi-même. Fidèle à ses convictions, Frederik Pohl porte en outre un regard critique sur nos sociétés modernes et leurs excès dans des domaines aussi variés que l'économie ou l'intégrisme religieux. Le nombre infini des univers possibles nous autorise heureusement à imaginer que nous pourrions jouir d'une plus grande liberté, si seulement nous voulions vraiment la chercher. Pour toutes ces raisons, en plus du réel moment de plaisir que procure sa lecture, L'avènement des chats quantiques constitue une excellente illustration du thème des mondes divergents, l'un des plus fascinants qu'ait engendré la science-fiction.