Qu'à partir des années 80 Robert Silverberg ait choisi d'orienter sa science fiction vers le grand public, n'exclut pas qu'il le fasse avec tout le brio dont on le sait capable. Il l'a prouvé en 79 avec Le Château de Lord Valentin, et il le prouve à nouveau en 1986 avec L'Etoile des gitans.
En projetant en 3159 toute l'imagerie attachée aux Tziganes, faisant de ceux-ci les meilleurs pilotes d'astronefs de l'Univers, il fait d'une pierre deux coups. Il plonge dans ce passé qu'il aime tant, et rend une fois encore hommage aux classiques du genre, en livrant un space opera brillant et original.
Original, parce qu'il faut toute la maîtrise d'un Silverberg pour faire prendre cette sauce improbable à base de clichés. Mais comme il le dit lui-même, le seul moyen de rendre crédible un postulat qui ne l'est pas, c'est d'y aller à fond.
Retour aux origines
C'est ce qu'il fait avec les aventures de Yakoub, le très débonnaire roi des Gitans, qui décide de ramener les siens sur leur planète d'origine. Car, oui, les Gitans sont des extra-terrestres. Ostracisés des millénaires durant sur Terre, et par la suite mis au ban de la communauté humaine, Yakoub pense que la fin de l'errance est désormais proche. Il sait que c'est là l'œuvre de sa vie, et décide de s'y préparer en s'exilant sur une planète désolée aux confins de la galaxie. Hélas, profitant de la vacance du pouvoir, son fils Shandor usurpe son trône et entend bien faire payer à l'humanité - aux gadjé - des millénaires d'avanies et d'asservissement.
De l'enthousiasme
Une trame éculée de comic book, mais sur laquelle Silverberg brode avec enthousiasme. Et nous, de suivre en jubilant les aventures de ce baratineur bravache. A l'histoire de la reconquête du pouvoir, viennent s'ajouter les nombreux flash-back sur la jeunesse de Yakoub. Des flash-back qui finissent par nous planter un décor des plus crédibles dans lequel évolue un personnage très silverbergien. La bonhomie de ce roi des Gitans n'est guère que la face éclairée d'un homme en proie, une fois encore, au doute et qui porte en lui le poids d'une histoire millénaire, faite de haine et de défiance. Bien au-delà de l'exploitation des clichés romantiques de la culture romi, c'est la douleur d'un peuple errant qui sert de toile de fond à ce roman. Le parallèle avec la culture juive est trop évident pour qu'on puisse en faire l'économie. Mais comme toujours chez Robert Silverberg, il n'y a ni revendication, ni plaidoyer contre une quelconque forme d'oppression. Seulement une constatation qui a force de démonstration, et qu'il vous faudra aller chercher entre les lignes, tant il est vrai qu'on se laisse aisément gagner par le rythme effréné du récit.
Car L'Etoile des gitans, pour moins innocent qu'il n'y pourrait paraître, reste un authentique roman d'aventure. Trépidant, presque feuilletonesque, et délicieusement européen, donc tellement exotique dans le paysage de la SF américaine. On se laisse prendre avec un plaisir juvénile, et n'eût été la médiocrité des suites données au Château de Lord Valentin, pour un peu on se laisserait presque aller à en redemander.