Alice automate

Alice automate

Récompensé dès son premier roman Vurt par le prestigieux Arthur C. Clarke Award, Jeff Noon développe depuis une oeuvre singulière et polymorphe, déstructurant et recomposant au gré de son imagination langage et narration.
Peintre, dramaturge et auteur, il reconnait sa fascination pour les différentes Alice inventées par Carroll, et tout spécialement pour les versions annotées par un spécialiste reconnu de Carroll, Martin Gardner.
L'idée d'écrire un "troisième Alice" lui est venue lorsque fixant un exemplaire de la version annotée par Gardner, il crut lire sur la couverture "Armour-plated Alice" que son esprit transforma bientôt en Alice automate. Il eut alors la vision d'une poupée imitant les traits d'Alice et mue par la vapeur. Cette vision se transforma en robot qui serait une réplique exacte d'Alice.
Si Alice apparaît comme une enfant très malade, mourante même dans Pollen, Noon avait le projet dans son troisième roman de la "sauver des ravages du temps", qui par association phonétique dont Lewis Carroll était lui aussi friand, sont devenus les "radis du temps".

Quand Alice croque les radis par la racine (carrée)

Coursant Whippoorwill, le perroquet malicieux de sa grand tante, la jeune Alice s'engouffre dans une horloge à balancier. Elle dégringole dans un tunnel de nombres. Quand sa chute prend fin, elle se retrouve nez à nez ou plutôt nez à antenne avec ce qu'elle croit être une fourmi...qui s'avère être un termite.
En compagnie de son inversoeur jumelle, sa soeur anagrammée qui n'est autre que sa poupée Célia, Alice parviendra-t-elle à regagner son époque à temps pour assister à sa leçon de 2h et pour masquer la fugue du perroquet ?
Comment dans ce monde moderne si déroutant pourra-t-elle prouver son innocence dans la très complexe affaire des meurtres par casse-tête ?

Hommage à un homme âgé

Alliance de logique et d'absurde, esprit de non-sense, êtres hybrides, mots valises, mondes fluctuants : Jeff Noon reprend dans son remix moderne d'Alice la plupart des ingrédients employés par son illustre modèle.
Il y introduit des composantes modernes et ce qui émerveille Alice est un mélange d'inventions poétiques et de description du monde contemporain. Alice en décalage pas toujours rectifié par Célia interprète de façon erronnée mais créatrice d'un nouveau sens des données banales de notre quotidien.
Ainsi dans sa naïveté de voyageuse du temps redonne-t-elle du nerf au système binaire qu'elle entend comme "binerf".
Elle prend comme l'héroïne de Carroll beaucoup de choses au pied de la lettre, s'emporte contre l'ordre établi des choses mais conteste aussi les expressions figées du langage, impropres à retranscrire son expérience de dérèglement du sens.
De devinettes en tempêtes sur l'échiquier provoquées par un coup de (traitre ?) de Noon, de passages borgésiens en clins d'oeil à la physique quantique, d'échappées à la Miyazaki aux échos à ses propres textes, Jeff entraîne Alice et son double dans une course échevelée.
Jeff Noon clot ce récit par une apologie rimée. Il y demande pardon pour cet emprunt à Carroll. Or c'est plus aux amoureux de Noon que ce livre pourrait déplaire. Car sa transposition d'Alice dans un monde aux résonnances plus modernes semble comme gênée aux entournures. A trop vouloir adapter et adopter le système de Carroll, Noon a rogné sa propre plume, bridé son imaginaire.
Pour reprendre le titre de l'une des clés du récit, Réalité et Réalithé, Jeff Noon a laissé trop infuser les feuilles de Carroll on l'eut plus volontiers dégus-thé avec un nuage de la nébuleuse Noon.