Pixel Juice

L'entrée en littérature de Jeff Noon fut fulgurante puisqu'il décrocha le Prix Artur Clarke en 1994 avec son premier roman Vurt. La musique punk et la dramaturgie ne lui avaient pas autant réussi, le voilà qui fort heureusement persiste en littérature dans une veine fort personnelle. Il entraîne ses lecteurs, dans une prose aux figures et au rythme hypnotiques, toujours plus loin dans les arcanes du monde vurtuel.
Les Editions de la Volte qui avaient déjà édité Pollen et réédité Vurt doublent la mise en cette rentrée 2008 et nous offrent Nymphormation et Pixel Juice.

"Miroirs biscornus"

Le recueil compte 50 fragments, comme autant d'éclats de miroirs fêlés qui tout bien réfléchi préfèrent vous montrer l'autre côté. Faux souvenirs d'enfance, ambiance policière, thèmes borgésiens, battle de DJ's, factices règles du jeu, témoignage sur des drames humano-psychologiques, communiqué pour rappel de produit., rapport de police, lexique, message de pub,... Jeff Noon explore la palette quasi-complète des supports de transmission d'information, les distordant parfois très subtilement. Il détourne une écriture factuelle en y insérant des faits improbables des détails saugrenus, des éléments à haute portée poétique.
Les fragments se samplent, se font écho les uns aux autres, s'interrompent et reprennent un fragment plus loin. Comme autant de micro-éléments vivants, un code génétique qui se reprogrammerait en une infinité de combinaisons. Un mix sans fin différent à chaque performance, qui pourrait imploser en une nuée de papillons.
La technologie est incarnée, l'identité se dissout dans une hybridité générale, qui inclut des graines de chien, des machines qui grandissent, des chat-tram, des lettres éclats de vif-argent, des créatures-miroir.

LSD (ou littérature simplement démentielle)

Jeff Noon semble être un génial démiurge inventeur d'un Mecano Tétris interactif et quadridimentionnel qui à base de briques narratives et de quelques emboitements construit un labyrinthe à laquelle chaque traversée invente une nouvelle issue.
Ce recueil semble écrit à 4 mains.
Une paire empruntée à un génial DJ. Il sélectionne quelques grands motifs de la littérature y compris dans sa propre oeuvre et en tire une forme inédite, qui revisite la littérature et en même temps en fait sentir les limites.
Si dans le fragment  Pixel Dub Juice qui se veut auto-ironique et synthétique, il avoue son remix de Borges, on peut percevoir ça et là des réminescences d'autres œuvres. Le thème des bouts de texte ayant survécu à la destruction de Manchester conservés dans le Musée des Fragments n'est pas sans rappeler  Un cantique pour Leibowitz.
La prise de conscience "Maman est arrivée à expiration. C'est triste. (...) J'ai compris que la mort était la pub ultime." a des accents d"absurde dans un monde dominé par la consommation et la communication.
Et le deuxième virtuose qui compose cette géniale partition est le roi des cocktails. Une dose de cyber-punk, beaucoup de traits d'esprit, un filet généreux d'onirisme,  une pincée de dénonciation par l'absurde. Le tout secoué dans un shaker magique.
Et de nous de porter ce double mix à nos yeux et oreilles, d'en absorber goulument le contenu, l'esprit en roue libre comme un danseur en transe sur un dance floor.
Et d'y revenir pour flasher encore sur ces 50 fragments. Pour une fois encore "épouser le ciel".