Ciel brûlant de minuit
Est-ce le trou dans la couche d'ozone, la mort de Richard Nixon, l'éclipse annulaire du soleil qui a traversé les Etats-Unis d'est en ouest ou bien la signature des accords israélo-palestiniens du Caire, toujours est-il que la livraison de l'année 1994 est, pour Robert Silverberg, très ancrée dans la réalité.
Lui qui a traversé les années 70, en prenant garde à ne jamais s'engager dans un quelconque combat. Lui qui a toujours scrupuleusement évité d'associer son nom à une cause, le voilà à 59 ans, projetant dans un seul et même roman toutes ses angoisses sur l'avenir de la société.
Comme au bon vieux temps
On ne songe pas à le taxer d'opportunisme. Le thème de l'écologie n'est pas encore à la mode, et en matière de prospective sociale, à la très relative exception des "cyberpunks", la référence reste la Tétralogie de Brunner qui date de près de vingt ans.
Il est certain que ces années furent celles de la rupture molle. Le monde entamait sa mue, et seuls les plus attentifs de ses observateurs voyaient se profiler l'heure des choix à venir. C'était à l'évidence le cas de Robert Silverberg.
On sent que préside à ce Ciel brûlant de minuit une urgence que l'on avait plus retrouvée chez lui depuis bien longtemps. Une envie de témoigner. Comme au bon vieux temps des Monades urbaines. Lui qui se défini volontiers comme "un vieux révolutionnaire à la retraite " reprend du service, et en remontre à ses "angry young mens" qui le fatiguent tant.
Voilà pourquoi, sans doute, trouve-t-on pêle-mêle dans ce roman un météorologiste chasseur de nuages toxiques, un biologiste envisageant de remplacer l'hémoglobine du sang par du chlore, et un espion mutant œuvrant au départ de l'Homme pour les étoiles. Sombre toujours, Silverberg nous livre clef en main un XXIIIème siècle où des megacorps nippones se partagent un monde pollué irrémédiablement désertifié, où juifs et arabes cohabitent enfin, mais par intérêt économique, où nantis et escrocs se retrouvent en orbite à l'abri des bacilles qui se développent sur Terre. Un monde qui ne nous laisse d'autre choix que l'exil ou la perte de notre humanité.
Un propos fort
Se croisent au long de ses pages bien plus d'intrigues que de raisonnable. On se perd parfois dans ce mouvement pendulaire trop décousu. On sent les rapiéçages qui vont coller bout à bout des histoires bien trop indépendantes. On y retrouve même, incidemment, l'intégralité d'une nouvelle datée des années 80. N'en reste pas moins, eût égard à la sincérité du propos, une impression forte. On ne ressort pas grandi de cet imbroglio de drames, mais au contraire avec une plus juste vision de notre place dans l'univers. Car quoiqu'il arrive, l'humanité n'est jamais qu'un accident de parcours. La Terre a été sans nous, elle est en dépit de nous, et elle sera sans nous. Le propos n'est pas asséné avec le brio dont Silverberg est coutumier, mais on l'y retrouve, peu ou prou, pugnace et sauvagement lucide. Ça nous fait un bien fou.