Retour pour la sixième fois en compagnie de Robert Silverberg sur Majipoor, afin d'y vivre la suite des aventures de ce pauvre Prestimion. Les plus acharnés d'entre vous se souviennent certainement l'avoir laissé au lendemain de la bataille de Thegomar Edge, récupérant enfin le trône usurpé par l'infâme Korsibar, et décidant d'effacer magiquement tout souvenir de la guerre civile qui avait opposé les deux factions.
Pour les autres – ceux qui ne se souviennent pas, n'ont pas lu le cinquième tome ou ont préféré oublier – ce n'est pas grave, cela vous sera rappelé tout au long de quelques 400 pages du présent volume, au cours d’imposantes séquences d'exposition dont la répétition confine presque à l'endoctrinement.
Repartons donc à la découverte de Majipoor, la planète géante. Sorte de Far-West néo-médiéval démesuré aux décors en images de synthèse. Lord Prestimion vient d'y accéder à la charge suprême de Coronal, et avec tous les problèmes qui lui tombent sur les bras il se demande si, des fois, ce n'était pas mieux avant. D'abord les paperasses, puis le traître Dantiryia Sambail, puis l'épidémie de folie qui se propage sur Majipoor, et dont le sortilège d'oubli qu'il a lui-même ordonné semble être la cause. Et pour finir, incurable romantique, ce bon Prestimion a mal à l'âme. Ah mon Dieu qu'elle était belle la douce Thismet, tombée hélas sous les coups félons de Sanibak-Thastimoon, le vil sorcier ! Ah que son souvenir est douloureux pour le grand homme ! Rassurez-vous, il ne souffrira pas trop longtemps. Juste assez pour nous raser et trouver l'amour de sa vie ! Encore... Mais parviendra-t-il à empêcher le monde de sombrer dans le chaos ? Le sauvera-t-il des noirs dessins de l'ignoble Dantiryia Sambail ?
Bien sûr qu'il y arrivera, et c'est presque dommage, tant est devenue vide de toute substance créative cette saga avec laquelle, souvenez-vous en, Robert Silverberg avait signé son retour à la S.F. C'était en 1979 avec Le Château de Lord Valentin, œuvre flamboyante, Space Opera dans la pure lignée de Vance ou de Farmer. Un divertissement qui étonnait de la part de l'auteur des Monades Urbaines, mais qui savait vous emporter vers des horizons épiques, tout au long d'une véritable intrigue. Celle du Coronal Prestimion est en revanche bien ténue. On ne se demande même pas comment elle parvient à remplir ces 460 pages, car elle n'y parvient pas. La structure de l'histoire est grossière et déséquilibrée quant à la fin, disons-le tout net, elle est scandaleusement bâclée. Jusqu'au dernier paragraphe, honteusement indigent de la part de Silverberg. Un Silverberg que décidément, puisqu'on me demande mon avis, je préfère un rien plus consistant. Et qui, sans même parler de ses chef d'œuvres les plus évidents, a su ses dernières années nous montrer qu'il était encore un des plus grands écrivains de science-fiction.
Le Coronal Prestimion n'est au mieux qu'un prétexte poussif à la visite guidée d'un monde par ailleurs parfaitement décrit dans Le Cycle de Majipoor. Une gourmandise surnuméraire. Le petit verre en trop à la fin du repas. Celui qui fait sauter le permis. Et même si un mauvais Silverberg vaut toujours mieux qu'on bon Barjavel, seuls les plus fanatiques éprouveront le besoin irrépressible de dépenser 159F pour ce qui n'est, après tout, qu'une erreur de parcours. Une erreur bien sûr pardonnable… mais un peu trop chère à l'achat.